C’est OK de ne pas être OK — la santé mentale en restauration

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Selon les données de l’Institut de la statistique du Québec, près d’une personne sur cinq sera touchée au cours de sa vie par un trouble de santé mentale dans la province. Selon une étude menée en 2018, plus de 1.2 million de personnes travaillent au Canada en restauration dans plus de 100 000 restaurants, bars et traiteurs. C’est environ 7 % des employés du pays et 4 % du produit intérieur brut (PIB) et on sait que le milieu de la restauration est l’un des plus susceptibles d’avoir un impact sur la santé mentale de ses acteurs.

Les études sur la santé mentale en restauration restent assez informelles, mais avec certains sondages maison, on trouve des témoignages de chefs — 85 % confient souffrir de dépression, 73 % d’anxiété ou troubles de panique et 50 % de dépendance à l’alcool ou la drogue. Dans une vidéo faite par le Wall Street Journal, on voit une dizaine de personnalités se demander si le milieu de la restauration crée des problèmes psychologiques ou s’il ne fait qu’attirer des personnes qui en souffraient déjà. Il semblerait que ce soit un peu des deux malheureusement.  La restauration semble effectivement attirer des gens qui ont une personnalité addictive; il y a énormément de stimuli, on travaille avec des amis, qui deviennent des collègues ou des collègues qui deviennent des amis, et les conditions de travail sont particulières.

Les gens du service sont plus enclins à des risques de dépression, de problèmes de sommeil et de stress, en grande partie à cause de la pression de chaque service, des heures de travail et du fait qu’il faille aussi toujours être de bonne humeur — « put a face » et « donner un show ».

Au Royaume-Uni, un sondage réalisé auprès des chefs a indiqué que 50 % d’entre eux souffraient de dépression, 25 % utilisaient l’alcool pour assurer leur quart de travail et 40 % utilisaient des stimulants comme la cocaïne ou des médicaments, Adderall, Ritalin ou autres. Une autre étude réalisée aux États-Unis place le milieu de la restauration en troisième place pour la consommation d’alcool, juste après la construction et le secteur minier. Selon cette étude, 12 % des gens de l’industrie ont des problèmes d’alcoolisme. La même étude place le monde de la restauration comme le plus important secteur de consommation de drogue avec 20 %, juste avant le secteur des arts et de la culture. Le monde de la restauration est également celui affichant le taux de dépendance le plus élevé avec 17 % des gens de l’industrie confiant avoir un problème de dépendance.

Saviez-vous que le climat de travail exerce une plus grande influence que l’environnement physique sur la santé mentale des humains ? En service, il y a beaucoup de pression et ça crée un milieu propice à la consommation de drogues et d’alcool. Il est plus difficile pour les gens en restauration de ne pas consommer d’alcool, puisque l’alcool est omniprésent dans leur environnement de travail. Saviez-vous que près de 30 % des suicides sont la conséquence de la consommation de drogues et d’alcool? Les propriétaires n’ont pas besoin d’être sobres pour donner un bon exemple mais ils doivent se rappeler que ce qu’ils font est observé et absorbé. Souvent, les lignes sont franchies parce que la haute direction a ouvert la porte. S’amuser est normal, mais c’est bizarre de le présenter comme un moyen de s’intégrer. Personne ne devrait avoir à adopter ce comportement.

David Mcmillan, le célébrissime propriétaire de l’empire Joe Beef, Joe Beef raconte que « les patrons des années 80 et 90 nous donnait un salaire. On punchait in, punchait out. Aujourd’hui, surtout dans les petites entreprises, il faut changer l’environnement, il faut presque considérer les gens comme une équipe sportive. Il faut une équipe pour jouer au hockey, au base-ball, au football, c’est la même chose pour un resto. Nous devons nous assurer que toutes les personnes qui travaillent dans un restaurant font partie de cette équipe.

J’ai été membre de l’équipe pendant longtemps avant de devenir l’entraîneur, et je n’étais pas un très bon entraîneur. Je buvais et je me droguais. Plus tard, j’ai réalisé que les gens qui travaillaient en dessous de Fred et moi nous regardaient et agissaient comme nous. Si nous agissons comme des idiots, ça va se répandre. Je dois m’occuper du bien-être de mes employés, de leur santé, que je montre un intérêt pour l’équipe. En 30 ans de carrière, je n’ai pas passé de temps là-dessus, sauf les 3 ou 4 dernières années. Ça ne faisait pas partie de la conversation avant. »

Ryan Gray, propriétaire du Elena, du Elena raconte que « dans Seinfeld, il y a un épisode où il se dit que si toute sa vie va mal, peut-être que c’est parce que toutes ses décisions sont mauvaises et donc il devrait essayer de faire tout le contraire. Et il commence à prendre des décisions qui vont contre son premier instinct et toute sa vie commence à aller mieux. Je pense que pour le milieu de la restauration, c’est un peu la même chose. Tout ce qu’on a appris dans les dernières années, il faut le désapprendre et partir à zéro.

Pour bien gérer un restaurant en 2020, il faut désapprendre toutes les habitudes qu’on a. Si vous pensez réagir comme vous l’avez toujours fait, c’est en fait le contraire. Si vous pensez qu’il faut que ce soit dur, qu’il faut mettre de la pression, qu’il doit y avoir de la boisson, this shit— la culture de la restauration que nous avons connue en grandissant — le monde dans lequel nous vivons est foutu. L’idée que c’est ainsi que les gens devraient être traités et motivés est complètement folle.

Crier sur un jeune de 20 ans qui n’a pas d’expérience, ce n’est pas une solution. Abuser des jeunes pour une combinaison de fierté et d’ego, tout cela est tellement merdique. Gérer un restaurant ne devrait pas être très différent d’une autre entreprise. Vous n’avez pas besoin de rester après le travail des heures à vous saouler avec votre personnel. Le restaurant doit fermer parce qu’il doit fermer, continuez la fête ailleurs. Pas besoin d’être l’endroit où tout le monde se défonce. »

Les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup plus conscients des limites, de la façon dont on doit leur parler. En effet, les gens sont beaucoup plus ouverts à parler de la maladie mentale. Jonathan Lapierre-Rehayem, le directeur de la restauration commerciale à l’ITHQ, confie que les choses ont beaucoup changé : « L’information sur ce qui se passe dans le milieu se démocratise… Les jeunes sont plus éduqués sur les lois et les règles du métier. Ils savent qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre, ils connaissent leurs droits et veulent des environnements de travail plus sain. S’ils sont maltraités, ils peuvent en parler et surtout ils peuvent trouver un emploi ailleurs. Le fait que les femmes arrivent en cuisine bousculent aussi en mieux les méthodes de travail. »

Les gens en parlent de plus en plus autour d’eux, mais les autres ne savent toujours pas comment les aider. C’est très difficile d’être honnête et vulnérable. Mais il y a un changement dans la société qui est rassurant et propriétaires et employés prennent des initiatives pour apporter des changements. Ils ouvrent la porte aux témoignages, aux impressions de leurs employés. Les restaurateurs, tranquillement, comprennent l’importance de bien traiter leurs employés. Un bel exemple est le programme Remise en place, un moment de réunion les dimanches et lundis pour lutter contre la drogue, l’alcool, la marijuana, la dépendance au sexe, au jeu, à la dépression, aux problèmes d’argent et à la gestion de la colère. Si tu ne vas pas bien, tu cherches des réponses, des indications, de l’aide, c’est un bon point de démarrage..

La santé mentale, ce n’est plus une question repoussée sous le tapis et, de nos jours, les gens ne doivent plus se débrouiller seuls. Les restaurateurs propriétaires ont la responsabilité de s’occuper de leur personnel autant qu’ils le peuvent. L’environnement dans la cuisine est en train de changer et c’est tant mieux. Ça doit continuer.

Promouvoir le sport, offrir des heures de travail raisonnables, payer les heures supplémentaires, offrir des avantages sociaux, aider dans la gestion des finances, payer des vacances, des congés, passer du temps en tête-à-tête pour régler les problèmes, et même l’implantation d’une assurance-maladie pour les employés, c’est toutes des choses qui peuvent aider.

Bâtir une entreprise sur des meilleures valeurs, plus durables, créer une culture nous donnant les moyens de réaliser des choses tous ensemble, une culture du travail saine, permet de limiter le roulement de personnel et d’accomplir de grandes choses. Les gens ont besoin d’empathie, de défis. Si vous encouragez les gens à prendre soin d’eux-mêmes, ils le feront. C’est génial. En créant et en entretenant cette culture, en allant dans cette direction, les possibilités sont illimitées. Il faut une vision du haut vers le bas. Il faut donner l’exemple.

Dans un monde ultra-performant, il faut se rappeler que c’est OK de ne pas être OK et qu’un mode de vie équilibré aide toujours à retrouver une meilleure santé mentale.


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