David McMillan : survivre à l’Apocalypse de la restauration

David Mcmillan Joe Beef Montréal

Bien qu’il ait annoncé qu’il se retirait de ses restaurants et, par le fait même, du milieu de la restauration, David McMillan est un personnage important du milieu de la restauration à Montréal. Ex-copropriétaire et cofondateur des restaurants Joe Beef, Liverpool House, Vin Papillon et McKiernan Luncheonette, l’homme de près de 50 ans est reconnu pour ses opinions tranchées qui lui valent bien des louanges et de nombreuses critiques. Adoré ou pas, celui qui a annoncé avoir accroché son tablier le 25 novembre 2021, est en grande partie responsable d’un empire de cinq restaurants, de la rédaction de deux livres, de la création de produits vendus en épiceries à travers le monde et de l’embauche de plus d’une centaine d’employés. Voici donc le parcours d’un homme d’affaire atypique, surprenant et touchant.

David McMillan est d’origine écossaise et irlandaise et a grandi dans le West Island de Montréal. Très jeune, il est baigné dans la cuisine et l’amour de la création de repas. « La cuisine m’a toujours intéressé. Ma grand-mère cuisinait extrêmement bien. Elle me gardait souvent et cuisinait des gâteaux, des petits-déjeuners, des en-cas. C’était une ménagère et femme au foyer exceptionnelle. » Il s’intéresse très rapidement aux émissions de télévision PBS Cooking Shows and Food Shows. « Je les regardais toutes et j’en regardais beaucoup. J’étais fasciné par ces émissions. »

Son premier poste en cuisine est comme plongeur, au restaurant Le Péché Mignon à Sainte-Anne-de-Bellevue. Rapidement, David s’intéresse plus sérieusement à la cuisine et décide d’en faire un métier. Afin d’appendre les bases, il décide d’aller à L’ITHQ. « Je ne donne cependant pas de crédit à l’école de m’avoir appris quoi que ce soit. J’ai appris ce que j’ai appris avec mes propres ressources. Mes vrais professeurs ont été des chefs qui travaillaient dans de vrais restaurants occupés. »

Vidéo : Bruno FlorinPodcast Bouche Pleine (les sous-titres en français sont disponibles ici)

Les petits-déjeuners de David McMillan au Caveau

David obtient son premier poste en cuisine comme garde-manger au feu restaurant Le Caveau, au centre-ville de Montréal. Sous la direction du chef Daniel Schandelmayer, il y travaille pendant ses études. « La cuisine lyonnaise du restaurant sous ce chef était incroyable. C’était une cuisine française classique exceptionnelle. It set the stage to what I do with Fred. What we do now is loosely based on that internship. Ce fut un des restaurants qui m’ont le plus marqué dans mon parcours. » David commence tous les matins à 6 h 45 et s’occupe des petits-déjeuners. Là, il en prépare pour de nombreuses personnalités : Daniel Johnson, Jacques Pariseau, Pierre-Marc Johnson, Pierre Trudeau et plusieurs autres. « À 7 h 15, la salle était complètement remplie et on était dans le jus. Tous les politiciens passaient déjeuner là. Je trouvais ça cool, j’adorais mon travail. J’avais la chance de cuisiner pour des gens sur lesquels je lisais tous les jours. »

David fait ensuite plusieurs stages, dont au restaurant Les Halles et au restaurant Toqué! — lorsque Martin Picard était le chef. Il part ensuite faire un stage au restaurant La Crémaillère en Bourgogne, avant de revenir à Montréal et de retourner à l’école. « I guess I needed to learn more. »

Un apprentissage difficile pour David McMillan

Pendant son deuxième parcours d’école, il part faire un stage pour Jean-Paul Thibert à Dijon. « J’ai adoré. C’était une cuisine très agressive et abusive. Il y avait beaucoup de cris et on travaillait très fort. » Le David McMillan de 20 ans travaille tous les jours de 7 h à minuit dans cette cuisine. « I was abused physically and mentally. At that time, I enjoyed it. Je voulais travailler dans une cuisine très compétitive. I know differently now, mais à cette époque, j’aimais ce côté militaire ; c’est ce que je recherchais et je l’ai eu là-bas. »

Nicolas Jongleux et David McMillan

David revient ensuite à Montréal et travaille pour feu le chef Nicolas Jongleux. « It was back and forth all over the place. » David passe aux restaurants Le Cintra, la Cigale, les Caprices de Nicolas et fait beaucoup d’allers-retours entre chaque restaurant.

Un apprentissage positif pour David McMillan

Par la suite, il part sur la côte Pacifique travailler au Sooke Harbor House. « Ça a été très important dans mon apprentissage ce passage. C’était la côte Ouest, les gens étaient gentils en cuisine, c’était un peu hippie, tout le monde était beaucoup plus gentil, personne ne criait, il y avait des plantes dans la cuisine and a lots of hugs. (Rires). » Le restaurant est directement sur la rive de l’océan et le menu est composé d’ingrédients très stricts. « It changed my idea about cooking really. » David y apprend l’importance de travailler les produits disponibles dans l’environnement immédiat du restaurant et reste deux ans au Sooke Harbor House.

Il revient ensuite à Montréal et pense ne plus travailler en restauration. Pourquoi ? « J’étais vraiment fatigué. »

Les soirées folles du Globe

Les choses ne se passent évidemment pas comme prévu. Il obtient un poste de chef de cuisine au restaurant Globe aujourd’hui disparu et accepte. « C’était le bordel total, mais c’était quand même facile. J’avais beaucoup d’expérience et l’endroit était un peu n’importe quoi : on y servait des pâtes, des sushis, ça n’avait aucun sens. » David nettoie le menu, renvoie beaucoup de personnel ; il recommence à zéro. Il se bat pour faire valoir sa vision de la cuisine aux propriétaires : il a la chance, pour la première fois, de montrer ce dont il est capable. Les influences de Nicolas Jongleux, de Chandel Meyer et du Sooke Harbor se dessinent à travers son menu. C’est aussi là qu’il rencontre Frédéric Morin qui deviendra son partenaire d’affaires et un de ses meilleurs amis. « Les propriétaires étaient gentils, et j’ai travaillé, travaillé, travaillé et encore travaillé. On a enlevé tout ce que je n’aimais pas et l’adresse est devenue populaire. À l’époque, le boulevard Saint-Laurent était très cool et très compétitif, il y avait le Mediterraneo avec Claude Pelletier et le Primadonna avec John Ledwell. »

David McMillan reste un peu plus d’une dizaine d’années au Globe (!) Il travaillera conjointement avec Fred Morin à assurer le bon fonctionnement de la cuisine. « Quand Fred est arrivé au Globe, j’étais le chef, mais techniquement on a toujours été des co-chefs. »

Les soirées folles au Rosalie et au Globe

David continue à s’occuper du Globe, mais quitte physiquement le Globe pour ouvrir le nouveau restaurant des mêmes propriétaires, Rosalie, lui aussi disparu aujourd’hui, . Il y travaille quelques années. « C’était un projet très coûteux. Il y avait des dettes incroyables, et ce, dès l’ouverture. C’était un poste très stressant et j’étais vraiment fatigué. J’étais épuisé physiquement et mentalement. J’ai commencé à avoir des problèmes graves avec ma santé, reliés au stress et à l’anxiété. Je ne quittais plus jamais la cuisine dans ma tête, j’étais toujours en train d’organiser des groupes, faire les commandes et les réservations. »

À cause de la situation, David quitte le restaurant. « J’étais brûlé. » Il prend une année sabbatique et reste à la maison pour profiter de sa fille, de sa femme et essayer de récupérer. Il souffre d’anxiété et de stress majeur et a besoin de temps.

Joe Beef pour Fred et Allison

Comment avez-vous trouvé le local du Joe Beef ? « J’avais l’habitude d’y aller pour un café avec Fred. Ça s’appelait Café Joe. On y mangeait de délicieux sandwichs. Joe voulait vendre. Je ne pensais jamais retravailler en restauration, je voulais aller travailler avec les fruits et légumes. » (Rires) Pourtant, le local est très petit — avec une cuisinière à six ronds et une friteuse — et est situé dans un quartier peu populaire de Montréal. David décide de prendre le bail avec Allison, la femme de Fred. Les deux font pression sur Fred pour qu’il démissionne du Globe et commencent un projet ensemble. Et ça fonctionne. David ouvre le Joe Beef avec Allison et Fred, aidé de Meredith Erickson, Julie Sanchez et Vanya Filipovic. Le résultat en surprend plus d’un : que sont-ils allés faire dans ce coin perdu ? Pourtant, la petite bande réussit à développer quelque chose d’unique. Le quartier deviendra rapidement l’un des plus populaires de Montréal et surtout l’un des plus connus des amateurs de bonne cuisine dans le monde entier.

« Tout ce qui s’est passé et ce qui a mené à aujourd’hui, ce n’est pas ce que je voulais. Je voulais ouvrir un restaurant qui serve des steaks et des huîtres, je ne suis qu’un cuisinier. Le niveau de sophistication des Montréalais a fait de Joe Beef ce qu’il est aujourd’hui. Ce sont leurs goûts extraordinaires qui ont modulé le restaurant. » C’est aussi une des qualités de l’équipe : s’adapter à la clientèle et savoir rendre leurs clients heureux.

Entre-temps, l’équipe du Joe Beef ouvre à la porte voisine le McKiernan Luncheonette, mais comprend rapidement que le moment n’est pas opportun. Le restaurant ferme et, à la place, ils agrandissent le local du Joe Beef.

Le Liverpool House pour “faire chier”

À l’époque, David est très en colère contre les ex-partenaires de son ancien restaurant et souhaite ouvrir un restaurant de cuisine italienne : le Liverpool House. À l’époque, Emma Cardarelli est en cuisine et Ryan Gray en salle. « C’était complémentaire au Joe Beef. Mais on n’a jamais été sérieux avec ça. C’était pour les faire chier un peu, mais ç’a rapidement évolué vers la cuisine de Dave et Fred que l’on connaît et que les clients aiment. » En moins d’un an, le restaurant qui avait commencé comme un restaurant italien devient français. Si le Liverpool House a longtemps été “le restaurant pour les gens qui n’arrivent pas à aller au Joe Beef !”, avec les années l’établissement s’est forgé la réputation de restaurant de quartier chaleureux à la cuisine française, aux plats faciles à partager, aux portions très généreuses. 

Bien des années passent avec le Joe Beef et le Liverpool House ; les deux restaurants s’améliorent et gagnent en popularité. David et Fred reçoivent parmi les plus grands chefs, les plus grandes personnalités et deviennent amis avec des chefs de renommée internationale dont Anthony Bourdain et David Chang. Bientôt, le monde entier parle du Joe Beef et, par le fait même, de Montréal.

Le Vin Papillon pour compléter l’offre

« J’ai toujours voulu ouvrir un bar à vin, mais je n’étais pas prêt pour ce genre de choses. Beaucoup de clients venaient et ne mangeaient que les entrées du Joe Beef. Nos deux restaurants étaient très masculins. » Avec ce projet, le groupe réussit à prouver qu’il est capable de créer des petites assiettes délicates et savoureuses ; une version plus féminine de leurs deux autres adresses. La critique encense le restaurant et les clients abondent.

Mckiernan pour Chris et James

Et alors pourquoi ouvrir McKiernan et qu’aimais-tu de ce restaurant-là ? « Encore une fois, rien. Je dois encore être brutalement honnête, mais moi je suis très satisfait des trois restaurants sur Notre Dame Ouest. Je ne cherche pas à ouvrir d’autres restaurants. Mais il faut comprendre qu’il y a des jeunes gens talentueux à l’intérieur de l’entreprise qui vont soit quitter et ouvrir leur propre business ou bien tu travailles avec eux à devenir partenaire. Ici, je suis seulement partenaire financier et je donne mon opinion. Tout le travail dur et lourd de cette adresse a été fait par Chris (Morgan), James (Simpkins), Derrick (Reinhardt) et Derek (Dammann). Dans ce projet, je suis aussi très heureux de travailler avec Derek Dammann ; c’est tellement logique. J’ai toujours pensé qu’il devrait faire partie du groupe Joe Beef. »

Un deuxième livre pour Meredith

« Il faut faire attention, je ne peux pas me mettre dans une position où je ruine ma vie avec trop de choses. I already fucked up in my life before. Je sais ce que c’est avoir des problèmes de santé mentale, ne pas être bien. Je sais que préserver ma santé mentale et mon bonheur est beaucoup plus important que ma richesse. »

En 2012, l’équipe du Joe Beef écrit un premier livre qui est un véritable succès. Pourquoi écrire un deuxième livre maintenant ? « Meredith a une merveilleuse carrière en écriture et elle a vu une fenêtre d’opportunité. Écrire le livre, c’est fun, mais toute la presse, ce qu’on fait là, je n’aime pas ça. Je suis très, très, très occupé en novembre et j’ai du mal à gérer. J’aime ne pas avoir 35 choses à faire, j’aime quand mon agenda est libre, que mes journées sont libres et que je peux profiter de mes enfants. Je ne me plains pas, mais c’est intrusif. Always speaking about yourself is not easy and it feels wrong. »

Qu’a-t-il de si bien ce nouveau livre ? « Ce n’est pas un livre de recettes, c’est plus un livre sur la cuisine en général, sur la compréhension de la tradition, de la culture, the time and place. »

Survivre à l’Apocalypse selon David McMillan

Que peut-on te souhaiter pour le futur ? « Basic things. No drama. Je voudrais que tout se passe bien. Je voudrais ouvrir un restaurant pour Arie (chef actuel du Liverpool House), que les gens autour de moi aient la santé et le bonheur… 2018 a été une année difficile, on a perdu Tony (Anthony Bourdain) et John Bill. J’ai aussi fait face à mes nombreux problèmes de dépendance au fil des ans – la nourriture, le vin, les drogues —, mais je me suis mis en place. I worked hard, but I am in a better place, I am seeing things a bit clearer. J’ai perdu beaucoup de poids et j’ai retrouvé ma santé, mais tout part de la psychologie, la santé mentale et l’arrêt d’abus de substances. »

« Mon poste aujourd’hui est vraiment d’assurer la santé mentale de l’équipe et de garder les environnements de travail positif : beaucoup de blagues, une atmosphère légère, etc. C’est très important. Travailler avec les jeunes, c’est génial, mais je ne peux plus cuisiner, je dois voir l’entreprise dans son ensemble. Chaque restaurant a son chef et ses gérants, et d’où je suis assis aujourd’hui, c’est une entreprise. Ma responsabilité est de m’assurer que tout le monde est heureux. C’est de maintenir la culture de l’entreprise, valoriser la gentillesse, le sérieux sur le travail. Understand it is food and wine first. And not to take ourselves too seriously. J’aimerais avoir une ferme un jour, peut-être un tout petit resto juste à moi, je travaille là-dessus en ce moment… »

David McMillan agit comme s’il se fiche de beaucoup de choses, et c’est peut-être vrai, mais en regardant la perspective de sa vie professionnelle, il est clair que tout a été construit pour les gens auxquels il tient beaucoup autour de lui. Les restaurants qu’il a cofondé sont certes reconnus pour leur bonne cuisine, mais leur réussite est également et peut-être principalement fondée sur l’hospitalité unique que l’on y retrouve, et tout ça part des équipes et du personnel. Tous les jeunes qui l’ont entouré et avec qui il a travaillé vouent une admiration et un respect remarquables pour l’homme d’affaires, tout comme ses clients de longue date. David McMillan a connu un valeureux parcours, on lui souhaite bien du repos sur sa ferme (qu’il a depuis acquis)… et au plaisir de le revoir un jour, peut-être, derrière les fourneaux !


Photographié par Alison Slattery

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