Éloge du comptoir

Rôtisserie La Lune, comptoir

Interactivité avec le personnel, convivialité entre clients, poste d’observation privilégié : tout le monde veut une place au comptoir. Si on s’y asseyait avant par dépit, à défaut d’avoir réservé en salle à manger, il est aujourd’hui devenu un endroit de prédilection au restaurant.

« Les gens veulent s’asseoir au bar, it’s a thing. » Pour Magali Payette, maître d’hôtel au restaurant Panacée, récemment ouvert dans le quartier montréalais du Village, il y a définitivement une tendance à prendre place au comptoir. En plus de la traditionnelle salle à manger, un nombre croissant d’établissements se dotent de cet espace en hauteur, au cœur de l’action et où l’on mange face au personnel. Le concept se voyait auparavant surtout dans les restaurants d’hôtels, où l’on trouve des voyageurs d’affaires et une clientèle solo, mais s’en est venu dans tous les restaurants.

En plus de se multiplier, les comptoirs s’allongent, prenant parfois la majorité ou la totalité de l’espace. On pense par exemple à lueur, une cuisine-comptoir de 14 places ouverte il y a peu à Québec par le duo Raphaël et Laurie-Alex Vézina, à qui le Guide Michelin a d’ailleurs décerné un BIB Gourmand. Au Panacée, l’espace tout en longueur met en valeur un grand comptoir de 18 places, contre 12 dans la petite salle à manger adjacente. Un vrai parti pris. « Panacée est un pari, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre en ouvrant, confie Catherine Couvet, la cheffe-propriétaire. Mais dans les restaurants où j’ai travaillé avant, le bar était souvent rempli. » Elle s’est notamment inspirée du défunt Hôtel Herman, dont « l’esprit de convivialité et d’échange » l’a toujours charmée.

C’est ce qu’elle veut recréer dans son établissement. La disposition du comptoir permet aux clients de voir facilement les assiettes et bouteilles des voisins, ce qui attise souvent la curiosité; il n’est donc pas rare que les conversations s’ouvrent entre les différents clients installés au bar et qu’ils se saluent en partant. « Même si on est dans un lieu gastronomique, on veut que ça reste chaleureux; et c’est quelque chose que le comptoir favorise. »

C’est exactement ce que recherche Alicia, amatrice de sorties au restaurant et « fan du comptoir ». « J’aime m’installer au bar, surtout quand je suis seule ou en voyage. Je me souviens d’un restaurant où j’ai discuté avec plein de gens. J’ai aussi eu des extras : un verre en plus, des arancinis en cadeau… Je n’aurais jamais eu ça seule à une table, et personne ne m’aurait parlé à part le serveur. » Mais si le comptoir semble aller de pair avec plus de décontraction, il ne s’agit pas d’oublier le confort, un aspect auquel elle est très sensible : « Il faut de bons sièges coussinés; si je vois des petits tabourets avec le dossier qui s’arrête à mi-dos ou des bancs raides, je vais en salle en manger! »

Panacée
Au restaurant Panacée, un grand comptoir de 18 places occupe la majeure partie de l’espace.

 

Interaction avec la cuisine

Cet aspect chaleureux se retrouve aussi avec les tables communes, où les clients de différents groupes se retrouvent côte à côte – une disposition de salle que de plus en plus de restaurants affectionnent. Mais ce que les gens recherchent en s’installant au comptoir, c’est aussi de pouvoir regarder l’équipe du restaurant en pleine action. Alicia cite l’exemple d’une de ses collègues qui opte souvent pour le bar quand elle sort avec ses enfants : « Comme ça, ils regardent le travail des cuisiniers et sont stimulés pendant le repas, ils posent des questions et trouvent ça cool ! »

Cette volonté de voir les cuisiniers travailler explique en partie l’intérêt grandissant pour l’omakase, concept japonais où le chef prépare les plats devant les clients avant de les servir directement sur le comptoir. C’est de ce type de restauration que se sont inspirés les frère et sœur Vézina pour créer leur lueur. C’est aussi le cas du chef d’origine japonaise GaCong Ruan, qui a ouvert il y a quelques mois Nama Omakase à Montréal. Dans ce restaurant, qui propose entre autres des services omakase pour six à huit convives maximum, l’objectif est de créer une expérience immersive et interactive avec le cuisinier. « C’est presque un souper avec un chef privé! », indique GaCong Ruan. Ce dernier, en plus de préparer les plats devant les clients, prend le temps d’expliquer les produits, procédés culinaires et traditions japonaises.

De la même façon, au Panacée, le client assis au comptoir en face de la station garde-manger finit la plupart du temps par avoir une conversation avec l’employé qui cuisine, lui posant des questions sur la philosophie du restaurant ou encore le plat sur lequel il travaille. « Les gens qui demandent à manger en salle recherchent plus d’intimité et sont dans leur petite bulle, tandis que ceux qui sont au bar veulent souvent de l’interaction », résume Catherine Couvet.

Le comptoir demande en outre au personnel d’avoir une certaine organisation. Comme le cuisinier au garde-manger peut être un peu moins rapide dans son travail du fait de sa proximité avec la clientèle, la cheffe-propriétaire a repensé le processus après quelques semaines d’ouverture pour diminuer les manipulations dans les premières entrées préparées au comptoir, afin de ne pas ralentir le service. « On fait plus de mise en place et de préparation pendant la journée, et le soir c’est de l’assemblage, explique-t-elle. Ça nous permet aussi de faire en sorte que même si on parle avec les clients, tout sera parfaitement assaisonné et standardisé dans chaque assiette. »

 

Nama
S’installer au comptoir du Nama Omakase, c’est presque comme une soirée privée avec le chef GaCong Ruan.

 

Un sentiment d’appartenance

Il faut donc choisir avec soin qui de l’équipe sera mis en avant au contact des clients, car toutes les personnalités ne s’y prêtent pas. « Parfois, le small talk, ça peut être drainant, confie Catherine Couvet. En entretien d’embauche, j’avertis toujours les candidats qu’ils seront un peu en salle à manger et vont devoir parler avec des clients; certains aiment ça plus que d’autres. » 

Idem pour les clients. Si David, qui mange au restaurant au moins une fois par semaine, opte automatiquement pour la salle à manger s’il est accompagné, il va toujours au comptoir quand il est seul. Il trouve notamment que le service y est différent : « Il y a en permanence quelqu’un de proche, en train de faire quelque chose derrière le comptoir, alors qu’à table le staff va et vient. Au comptoir, il y a cette idée de lieu de passage et de rapidité : si tu veux quelque chose, tu peux l’avoir plus vite. » Idéal pour un lunch vite fait donc. Et, en plus, il sait qu’il pourra facilement trouver quelqu’un avec qui discuter.

Le comptoir répond donc à l’envie des clients d’être plus en interaction avec la cuisine, mais également à celle de certains professionnels de la restauration. GaCong Ruan, ancien serveur, aime ainsi parler aux gens. Avec son restaurant, il veut rendre l’omakase plus accessible. « On ne l’a pas tant ouvert pour répondre à un besoin, mais surtout parce que c’est ce qu’on aime faire. » Quant à la propriétaire du Panacée, elle mange toujours au bar quand elle sort au restaurant. « Le but d’un comptoir, c’est d’avoir un échange, une connexion, de créer un lien fort. Je pense que les clients aiment ça: ça nourrit leur sentiment d’appartenance. Et tout le monde veut se sentir spécial et reconnu… »

 

lueur, la petite soeur du Laurie Raphaël
Au restaurant lueur, à Québec, tout le monde s’assoit au comptoir!


Photographié par Alison Slattery

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