« Raves » matinaux: quand « party » rime avec café

Imaginez la scène : il est 11h, dimanche matin. Le café Paper Hill, sur la rue Saint-Alexandre, est plein à craquer. Une centaine de jeunes gens se déhanchent sur la musique techno, les bras levés vers le ciel. Pas un verre d’alcool en vue, seulement des lattés glacés et des macchiatos.
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Cet événement, c’était l’idée de Karl Haddad et de son collectif, Akrenim. Le créateur de contenu, mieux connu sous le pseudo iskarlok sur les réseaux sociaux, s’est fait connaître grâce à sa série, How to never get bored in Montreal, dans laquelle il suggère des idées d’activités et de sorties pour contrer l’ennui dans la métropole. Fort de son succès, il a pris la résolution d’amener le concept à la réalité et de créer lui-même des expériences uniques pour ses abonnés. S’inspirant d’initiatives comme AM Radio à Los Angeles et The Coffee Party à Toronto, Karl a lancé avec quelques amis le collectif Akrenim, qui organise des événements de jour avec des DJ et artistes invités. Leur dernier événement, au restaurant Pangea, dans le Vieux-Montréal, a attiré près de 500 personnes.
Comme eux, de plus en plus de gens choisissent de troquer l’éclairage des néons pour la lumière du jour et l’alcool pour la caféine et les croissants, en particulier les jeunes de la génération z. Cette tendance des « coffee raves », ou « morning parties », gagne en popularité un peu partout sur la planète. Depuis le début de l’année, elle débarque en force à Montréal.
Croissants, cafés et DJs
Lorsqu’elle a annoncé la première édition de Croissound sur Instagram, Lisa Rey ne se doutait pas que sa vidéo obtiendrait quelque 137 000 visionnements. Son premier DJ set matinal au Cass Café, en février, a attiré plus d’une centaine de courageux, qui ont bravé la température hivernale pour venir danser. Son deuxième événement, au Café Bravo, a eu encore plus de succès. « La fille s’étendait jusqu’à Mont-Royal et les gens attendaient dans le froid! », s’étonne-t-elle encore au bout du fil.
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Au café-galerie d’art Foil Gallery, dans le Mile-Ex, on propose une version plus « adulte » de ces partys pour lève-tôt. Les événements AM:PLIFIED sont à mi-chemin entre un vernissage et une performance de DJ. De 11h à 16h, on peut siroter un café ou un mocktail santé, avec un croissant de la pâtisserie Mélilot, tout en admirant des œuvres d’art, pendant que les DJ invités se relaient aux platines. « C’est pas vraiment un rave. C’est plus tranquille, plus mature », explique l’artiste numérique Frédéric Duquette, mieux connu sous le sobriquet de FVCKRENDER, qui a lancé la galerie en mars dernier avec sa conjointe, la photographe Jo-Anie Charland. « On reste fidèle aux valeurs de la galerie : c’est plus haut de gamme, mais sans prétention », poursuit-il.
Les deux copropriétaires, dans la mi-trentaine, n’appartiennent pas à la gen z. Mais, en bons millénariaux, ils considèrent que leurs années à faire la fête jusqu’à pas d’heure sont derrière eux. « On est sobre tous les deux depuis trois ans. On se couche à 9h le soir. On aime faire des trucs le jour. On veut quand même vivre, mais sans nécessairement se défoncer le soir », confie l’artiste.
Le jour et la nuit
Plusieurs études le démontrent : les jeunes de la genération z, qui sont nés entre la fin des années 1990 et le début des années 2010, boivent moins d’alcool que leurs ainés et fréquentent moins les bars et les discothèques.
Cette tendance, Karl Haddad la remarque dans son entourage. « Je remarque qu’à Montréal, les nightclubs sont en déclin », note le créateur de contenu, évoquant la fermeture récente du Muzique, mythique boîte de nuit du boulevard Saint-Laurent. « Je sens que les plus jeunes générations choisissent un mode de vie qui est plus sain. On voit une grosse montée des clubs de course, des bars à smoothies, de tout ce qui est plus santé », poursuit-il. Mais loin de lui l’idée de nuire à une industrie qui a déjà la vie dure, précise-t-il : « Notre objectif n’est pas de prendre l’audience des nightclubs. On veut apporter d’autres types d’expériences aux gens de Montréal. »
« On ne fait plus la fête comme avant, toutes générations confondues », avance pour sa part Lisa Rey. Visiblement, l’engouement ne se limite pas qu’aux jeunes. En témoigne la foule bigarrée qui fréquente les événements Croissound : « Il y avait des jeunes de 18 ans, des dames de 65 ans et des parents qui sont passés avec leurs enfants pour prendre un café et voir ce qui se passait », raconte-t-elle.
L’absence d’alcool apporte aussi un sentiment de sécurité, particulièrement pour les femmes, croit la jeune entrepreneure. « Il n’y a aucun débordement. Les filles se sentent super à l’aise. Elles n’ont pas besoin de prendre un Uber en pleine nuit et il n’y a pas de risque qu’un homme louche mette quelque chose dans leur verre », nous explique-t-elle.
« Tu vois tout. Tu es 100% conscient. Tu vois le monde, tu vois avec qui tu danses, tu apprécies plus la musique », renchérit Karl.
Bref, c’est le jour et la nuit, littéralement.
Le début d’un mouvement
Tendance passagère ou nouveau paradigme? « C’est le début d’un mouvement », croit Karl Haddad. « On est tous en train d’expérimenter. Tout le monde s’amuse – et c’est ce qu’on veut. »
« On a tellement de demandes qu’on est déjà bookés jusqu’en juillet », se réjouit Lisa Rey de son côté. « Les gens demandent de plus en plus d’activités de jour. L’hiver en particulier, à Montréal, il n’y a pas tant de choses à faire le jour. »
Sans dévoiler ses cartes, Karl dit nous réserver de grosses surprises pour ses prochains événements avec Akrenim. « On prépare quelque chose de très excitant. Ça va être exponentiel », promet-il.
Un dossier à suivre!
Écrit par Mikael Lebleu
Photographié par Croissound