Maria-José et Zoya de Frias : faire découvrir l’Afrique et sa gastronomie
Toutes deux originaires de la République Démocratique du Congo, Maria-José et Zoya de Frias ont longtemps habité en Belgique avant de déménager à Montréal. Depuis juin 2016, le duo mère-fille est propriétaire du restaurant Le Virunga sur le Plateau, une délicieuse rencontre entre la gastronomie africaine et le terroir québécois.
Au Congo, Maria-José de Frias était cheffe d’entreprise. Alors qu’elle vient d’accoucher de sa deuxième fille Zoya, elle part en vacances en Belgique pour visiter de la famille avec la nouveau-née. On se trouve alors au début des années 90. « Au Congo, les pillages ont commencé et on sent qu’un coup d’État se prépare. Ma mère a reçu un appel lui disant qu’elle ne pouvait plus rentrer, car ce n’était plus sécuritaire pour elle et ses enfants, » raconte Zoya, aujourd’hui adulte.
Maria-José, Zoya et sa plus grande soeur s’installent alors en Belgique dans la Région de Bruxelles. « En arrivant en Europe, il fallait qu’on digère la situation. Et puis, ça a pris quelques années pour nous établir ; on se questionnait constamment à savoir si on rentre, si on ne rentre pas : qu’est-ce qu’on fait ? » Maria-José prend finalement la décision de s’installer en Belgique en débutant une formation pour devenir styliste. Visiblement portée par la fibre entrepreneuriale, elle lance sa propre boîte de stylisme. La compagnie qui porte son nom œuvrera pendant 15 ans.
De son côté, Zoya, entrant dans l’adolescence, est confronté à la dure réalité du racisme. En Belgique à l’époque, lorsqu’elle postule pour un emploi étudiant, les CV doivent d’être accompagnés d’une photo en couleur. « On ne va pas se le cacher, c’était une manière de classer les gens, » résume franchement Zoya. « Ma mère savait que même si je finissais l’école, mes perspectives n’allaient pas être égales à celles de mes consœurs. On a donc quitté l’Europe en raison de problèmes d’opportunité liés à notre couleur de peau. »
Le père de Zoya ayant étudié au Canada, cette dernière possède donc la double nationalité portugaise-canadienne (Maria-José est moitié portugaise). La famille de Frias prend donc la direction de Montréal à la recherche d’une meilleure situation. En parlant du Québec, Zoya se réfère au rêve nord-américain ; « l’opportunité de faire ce qui nous tente, de suivre notre cœur, » comme elle le dit si bien.
Dans cet esprit, Maria-José prend la décision de retourner sur les bancs d’école ; chose qui, pour une personne dans la quarantaine n’aurait pas été nécessairement bien vue en Belgique. Comme elle avait toujours été intéressée par le monde de la restauration, elle s’inscrit au Collège LaSalle en cuisine. « Je voulais tenter et voir ce que ça donnait parce que ça me passionne et je voulais apprendre. »
En sortant de l’école, Maria-José observe rapidement une différence d’ouverture entre le Québec et l’Europe. Elle déniche d’abord un stage au restaurant Mess Hall à Westmount avant d’être embauchée au Bitoque, un restaurant portugais sur la rue Notre-Dame. « Ce sont ces opportunités qui l’ont encouragée à s’investir dans la société ! Elle sentait que cette société l’intégrait réellement et l’acceptait à part entière, » explique sa fille.
De son côté, Zoya est arrivée au Québec à l’âge de 16 ans. Après un passage au collège Marianopolis en concentration commerce, elle s’inscrit à un double BAC à l’Université Concordia en informatique et statistiques. À sa sortie de l’université, elle trouve rapidement un emploi comme analyste-programmeur junior. Toutefois, dans sa nouvelle réalité de 9 à 5, Zoya ne sent pas qu’elle se réalise et s’épanouit pleinement. « Pendant mes études, j’ai fait énormément de bénévolat dans le domaine des startups. J’étais très axée sur le fait de partir un projet de zéro et de le mener à terme. »
En parallèle de son emploi, elle est recrutée pour mentorer une équipe de robotique, ce qui lui permet de conserver la flamme allumée. Cependant, lorsque le projet prend fin, au début de 2016, elle ressent un vide : « Je pensais prendre une année sabbatique ou peut-être faire une maîtrise, » dit-elle. C’est alors que sa mère arrive avec une proposition.
« Elle m’a dit qu’elle avait appris les bases de la cuisine française, mais que ça lui tentait de faire découvrir sa culture à sa terre d’adoption pour pouvoir échanger. » À la recherche d’un nouveau défi, Zoya ne demandait pas mieux. « Depuis notre arrivée, on était entourées de personnes qui ne connaissaient pas vraiment notre culture et on s’est dit qu’il n’y avait pas vraiment d’autres moyens que de rassembler les gens autour d’une table pour faire découvrir. » Quelques mois plus tard, Le Virunga ouvre ses portes rue Rachel sur le Plateau.
La prémisse du Virunga est des plus uniques. Le duo, mère en cuisine et fille en salle, a comme objectif de présenter la gastronomie africaine aux Québécoises et aux Québécois. Pour ce faire, elles orchestrent une rencontre entre les produits du terroir local et les saveurs de leur Afrique natale. Dès le processus de financement, les propriétaires du futur Virunga réalisent rapidement qu’elles devront non seulement promouvoir une nouvelle adresse dans le — déjà presque saturé — paysage gourmand montréalais, mais qu’elles devront aussi travailler pour ouvrir les horizons des consommateurs québécois en les incitant à découvrir de nouvelles saveurs. Le même travail est aussi nécessaire chez les producteurs québécois qui n’ont pas vraiment l’habitude d’offrir des produits comme la viande de chèvre et la queue de bœuf. L’originalité de la proposition et l’absence de projets similaires refroidissent de nombreux investisseurs et incubateurs montréalais.
« Même si les gens nous disaient que ça n’allait pas fonctionner, on voulait quand même essayer parce que sinon on savait qu’on le regretterait. À cause de ça, on n’a jamais eu d’objectif à long terme. » Au départ, elles fonctionnent avec un plan de un an, puis de trois ans, et maintenant elles parlent d’un plan de cinq ans. « Quand on se lance avec un produit de communauté comme le nôtre, ça prend énormément de temps avant qu’il devienne accessible à tous. »
Malgré l’humilité de Zoya, Le Virunga ne cesse depuis son ouverture de gagner en popularité et d’attirer – lire littéralement charmer – les gourmands d’ici et d’ailleurs. Marie-José et sa fille ont d’ailleurs été agréablement surprises de voir que leur mission de faire rayonner la cuisine africaine a dépassé la communauté montréalaise, alors que nombreux Américains et Européens ajoutent l’adresse du Virunga à leurs itinéraires gastronomiques. En dépit de tout ce qu’elles ont accompli, les deux propriétaires restent toujours aussi déterminées à briser les barrières culturelles et à présenter la cuisine africaine sous son meilleur jour aux Québécoises et aux Québécois. « Il nous reste beaucoup de potentiel à découvrir, » conclut Zoya qui a très hâte de recommencer à servir ses clients au Virunga.
© Photos Le Virunga
Écrit par Samuel Gauvreau Des Aulniers