Jean-Philippe Tastet : le goût des autres

Jean-Philippe Tastet est né à Toulouse, « capitale nationale du rugby… et du meilleur cassoulet, “souvent imité, jamais égalé” ». Il a grandi à Labastide-Murat, un petit village français où il vivait au plus près de la nature. « On allait chercher le lait quelques heures après la traite », se souvient-il. Il revoit encore les pains de cinq kilos, les légumes cueillis dans le jardin, et en particulier les délicieuses asperges blanches. « Tout petit, j’étais fasciné par les miracles que ma mamie réalisait avec peu. On n’était pas riche, vraiment pas, mais on mangeait toujours bien. Son lapin à la provençale est gravé, intact, dans ma mémoire. Les heures passées à équeuter les haricots verts et à écosser les petits pois du jardin m’enthousiasmaient moins par contre. » C’est là que s’est forgé son amour du produit, qui lui reste encore aujourd’hui, intact.
Une vie de voyages gourmands pour Jean-Philippe Tastet
Il poursuit ensuite sa scolarité à Gramat, puis à Cahors. À 22 ans, animé par un goût déjà marqué pour l’aventure, il quitte la France pour La Nouvelle-Orléans (!) Nous sommes en 1978. Pourquoi ? « Pourquoi pas ! » Il y devient professeur de français et tombe sous le charme de la cuisine locale : gombo, jambalaya, plats à base d’écrevisses. Il aime la nonchalance de la culture, l’héritage créole, l’effervescence constante, le jazz et la richesse culturelle — teintée d’un fond canadien.
En 1979, il part pour Téhéran (!), en pleine révolution. Encore une fois, « pourquoi pas ? » Jean-Philippe est poussé par un désir constant de découverte, d’ouverture d’esprit et de rencontres. Il y enseigne le français, apprend le persan et découvre encore une fois, un nouvel univers culinaire : un riz aérien, des plats longuement mijotés et parfumés, le fait que les Iraniens salent leur yaourt, le thé à la bergamote. Il tombe amoureux de cette cuisine de patience, de partage, riche en épices et en parfums.
De 1980 à 1984, il va s’installer à Toronto, toujours comme professeur de français. Il y trouve de bons restaurants, mais trop chers pour son petit budget de professeur. Alors il cuisine beaucoup à la maison — notamment pour ses étudiants. En 1983, il rencontre ma mère et s’installe à Montréal. Il tombe tout de suite amoureux de la ville, de sa culture et éventuellement de sa cuisine !
Jean-Philippe Tastet, Montréal et la critique
« En 1984, la culture gastronomique québécoise me semblait encore naissante. À mon grand étonnement, à l’époque, un bon resto, c’était très souvent un resto français. » En 1985, il entre au Devoir comme pigiste, où il devient copain avec Josée Blanchette, qui l’entraîne dans de nombreuses découvertes gourmandes. En 1997, elle quitte son poste de critique gastronomique et recommande Jean-Philippe Tastet pour lui succéder.
À cette époque, des restaurants comme Le Globe font la pluie et le beau temps à Montréal. Au début des années 2000, la cuisine québécoise s’affirme enfin. Normand Laprise mène la charge au Citrus, puis au Toqué. Suivent Martin Picard avec le Pied de Cochon, Frédéric Morin et David McMillan au Joe Beef. Une cuisine assumée, goûteuse, créative, décomplexée. « C’était comme si les chefs québécois avaient longtemps eu un complexe d’infériorité face à la France et que là, ils s’affirmaient enfin. Le produit local était roi et c’était le début d’une grande gastronomie québécoise. »
Grâce à Normand, des circuits d’approvisionnement local sont mis en place. Il contribue à mettre les producteurs québécois sur la carte. Le premier restaurant que Jean-Philippe critique officiellement est un somptueux établissement de la rue Peel, un projet à plusieurs millions… qui fermera après un an.
À l’époque, les critiques ont un pouvoir immense. « Je ne me rendais pas compte de la force et de l’impact de mon opinion. » Il se souvient de figures comme feue Françoise Keller (Madame Keller) à La Presse ou Robert Beauchemin chez Voir, capables de fermer un restaurant d’un simple papier. Lui préfère y aller plus doucement. « J’aimais surtout mettre en lumière le travail des gens, découvrir des endroits, écrire. J’aimais les rencontres avec des gens passionnés, donc passionnants. » Dans toute sa carrière, il n’a fait que quelques critiques très négatives — ils se comptent sur les doigts d’une main. « Aucun plaisir à faire ça. Quand je le faisais, c’était avec beaucoup de sérieux…et de regrets. »
Avait-il toujours raison? Bien sûr que non, mais il tente d’être le plus juste possible. Quand Olive et Gourmando ouvre, il écrit pourtant: « C’est beau, bon, mais malheureusement à notre époque personne ne paiera 7,95 $ pour un sandwich dans le Vieux-Montréal. » Un an plus tard, il avoue dans un nouvel article : « Il m’arrive de mettre mon pied dans ma bouche. Le sandwich est passé à 9,95 $… et ça fonctionne du tonnerre, parce que c’est vraiment très très bon ! »
Il garde un souvenir particulier de plusieurs coups de cœur : Éric Gonzalez à l’Hôtel de la Montagne (Lutetia), Patrice Demers aux Chèvres, l’autodidacte Racha Bassoul chez Anise, ou encore la découverte de Mélanie Blanchette en service au Leméac. Il rencontre aussi alors son épouse Marie avec qui il continue de partager sa vie aujourd’hui.
En 2007, le célèbre hebdomadaire Voir l’approche. Le propriétaire, souhaite lui confier la direction du Guide Restos Voir, alors référence gastronomique partout au Québec. Jean-Philippe hésite. « Pourquoi j’irais chez vous alors que je fais ce que je veux au Devoir avec des collègues charmantsm cultivés et généreux e leur temps et de leur savoir ? » Le propriétaire répond : « Parce qu’ici, tu seras lu. » (rires) Le Devoir compte quelques dizaines de milliers de lecteurs et le Voir quelques centaines de milliers ! »
Pendant cinq à six ans, il coordonne une équipe d’une douzaine de collaboratrices et collaborateurs à travers le Québec. Ce qu’il préfère, toujours : les rencontres humaines, les gens de salle, les gens de cuisine. C’est à cette époque qu’il découvre, entre autres, Stéphane Modat à Québec. Il est fasciné par la montée de la gastronomie dans la capitale nationale.
En 2013, le modèle du Guide Restos Voir change : les restaurants se mettent à offrir des certificats cadeaux en échange de visibilité ; Le journal y gagne en revenus, mais perd en crédibilité. Jean-Philippe quitte à l’annonce du projet et retourne au Devoir. Parallèlement, il collabore à un projet du guide des 100 tables créatives d’Infopresse, avec Sylvie Berkowicz et une équipe exceptionnelle. Il aime leur créativité, leur rigueur, leur passion.
Les débuts de Tastet
Cette même année, je reviens d’Europe avec l’idée de lancer Tastet.ca. Il n’y croit pas trop. « Ce blogue… ça ne rapporte rien ! Et ça me demande tellement de temps. » En 2014, lors de ma maîtrise en commerce électronique, je trouve le slogan : Si on en parle, c’est que c’est bon. Mon père reste dubitatif. « Elle va bien s’apercevoir que ça mène nulle part… » (rires) Il aime quand les choses sont claires, concises et encadrées, tout le contraire de moi !
En 2015, Jean-Philippe quitte temporairement le projet Tastet, éprouvant des difficultés à s’y projeter. Trop de différences de points de vue entre nous deux, et la difficulté de mener à bien trop de projets simultanément. En 2017, il revient toutefois, cette fois avec un rôle plus ciblé et des tâches mieux définies.
Il salue l’énergie de l’équipe. « C’est extraordinairement dynamique travailler chez Tastet. Ça correspond à ma philosophie de vie. On met de l’avant le bon, pas besoin de critiques négatives. » Il aime travailler avec cette génération dont il pourrait être le père… ou le grand-père. « Il y a une vibe différente. C’est très stimulant. »
Parmi ses adresses fétiches : Mon Lapin, Moccione, L’Express, Byblos, San Gennaro, Barcola et, à Québec, Le Clan du super chef Stéphane Modat. Jean-Philippe Tastet a bâti une carrière autour de la gastronomie, tissé des liens solides avec les restaurateurs du Québec, et gagné le respect et l’admiration de tout un milieu.
C’est grâce à lui que ce beau projet est parti, que Tastet existe à la base. Grâce à son amour et son admiration des produits locaux, des gens de talent, de passion et son admiration pour le milieu de la gastronomie.
Merci papa. Ce n’est que le début 😉
Écrit par Élise Tastet
Photographié par Alison Slattery