Mariana Martin : cheffe boulangère passionnée qui fait rayonner la culture mexicaine à Montréal

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Mariana Martin est née à Mexico dans une famille d’avocats. Son père a eu une grande carrière en droit et a même enseigné le droit à l’école. C’est là qu’il a rencontré sa mère. Son frère et sa sœur sont tous deux avocats, et pendant longtemps, elle a aussi cru qu’elle devait suivre la même voie.

Puis, elle a rencontré son futur mari. “Nous avions 13 ans à l’époque (eh oui, on se connait depuis longtemps!). Pendant mon enfance, quand on me demandait « Que veux-tu faire plus tard ? », je répondais toujours « Avocate ». Mais au fond de moi, je savais que ce n’était pas ma passion. Mais il m’a fait réaliser que je n’étais pas obligée de suivre le chemin de mon père.” 

Mariana a toujours aimé cuisiner à la maison, mais n’avait jamais imaginé en faire une carrière. Pendant les vacances d’été, ses parents lui offrent des livres de cuisine en lui disant « Pas question que tu restes à la maison à rien faire, tu dois rester occupée, tu pourras cuisiner pour nous! ». Elle a donc commencé à cuisiner pour sa famille cet été là et a adoré. C’est à ce moment-là qu’elle a compris qu’elle pourrait peut-être suivre sa passion et faire ce qu’elle aimait dans son quotidien.

À 15 ans, elle a commencé à assister à des congrès culinaires à Mexico. Elle a découvert le mouvement gastronomique, participé à des événements, écouté des chefs renommés parler de leur passion, et appris sur le monde de la restauration. Plus elle s’y plongeait, plus elle se sentait impliquée dans l’industrie alimentaire.

Quand elle a annoncé à ses parents qu’elle souhaitait travailler dans la gastronomie, ils étaient sous le choc. Leur réaction a été : « Ce n’est pas possible, ce n’est qu’un passe-temps, pas un métier dont on peut vivre. » Il lui a fallu beaucoup de temps et d’énergie pour les convaincre.

Cependant, elle est amoureuse de la cuisine et comprend que la nourriture est bien plus que simplement se nourrir! C’est une réflexion de la culture, des traditions, de l’histoire, de la famille, de la chimie—bien plus complexe que la simple survie. Et cela la passionne. 

Mariana Martin à New York

Elle cherche des programmes culinaires au Mexique et ressent le besoin d’une immersion profonde. Elle trouve un programme au International Culinary Center à New York qui dure six mois, avec des options en anthropologie, chimie alimentaire et histoire. Elle postule alors pour une bourse portant sur la durabilité alimentaire au Mexique—et elle l’obtient! Elle convainc alors son père grâce à cette bourse. 

Mariana déménage donc à New York, et son mari l’accompagne. Depuis le tout début, il la soutient dans ce projet. C’est alors qu’elle obtient un travail au Blue Hill, le prestigieux restaurant de Dan Barber. “J’admirais Dan Barber et le mouvement farm-to-table, qui a transformé ma vision de la cuisine. J’allais à l’école le matin et travaillais en restaurant le soir. Ce fut des années tellement formatrices pour moi!” 

Elle applique pour un programme de boulangerie, et son père la soutient pour la première fois! “Mon père a vu à quel point cela me rendait heureuse, et il m’a soutenue. C’était la première fois que je comprenais vraiment la chimie de la boulangerie. Pour moi, le pain signifiait pan dulce, mais à New York, j’ai découvert les viennoiseries et le pain au levain. Ce monde de la fermentation a changé ma vie—j’ai appris comment les micro-organismes évoluent, comment nourrir la levure, et en quoi la fermentation des grains était différente de tout ce que je connaissais.”

Mariana Martin au Rosetta

Après ses études, elle retourne au Mexique. Là, elle rencontre la cheffe de renom Elena Reygadas, une des seules femmes — et mexicain en plus — qui a fait le programme de l’International Culinary Center. “Je l’admirais beaucoup et je connaissais bien son histoire. J’ai postulé à la boulangerie Rosetta, mais la seule place disponible était en cuisine de restaurant. J’ai passé trois ans chez Rosetta, travaillant les pâtes avec une touche mexicaine, et je suis tombée amoureuse des ingrédients locaux.”

Mariana grandi sans expérience de la haute gastronomie dans sa vie quotidienne — ”au Mexique, la cuisine se vit principalement à travers la street food et des recettes de famille. La cuisine fine était un concept nouveau et difficile à appréhender au début. Très tôt dans ma carrière, j’ai compris la difficulté d’être une femme en cuisine, j’ai été victime de harcèlement, mais la cheffe Reygadas a immédiatement renvoyé l’agresseur et m’a dit qu’il était essentiel de se sentir en sécurité au travail. Cela a été un tournant pour moi, surtout au Mexique, où les changements prennent plus de temps qu’ailleurs.”

Mariana jongle entre une école de pâtisserie le matin et un restaurant le soir. Elle suit ensuite un programme d’agroécologie à Lyon, où elle apprend l’impact de la saisonnalité, la durabilité, et les enjeux environnementaux et sociaux liés à l’alimentation.

À l’été, elle vient alors à Montréal, où elle vient à la rencontre d’une Québécoise qui était dans son cours de boulangerie à New York. Celle-ci rêvait d’ouvrir une boulangerie à Montréal, mais n’avait pas les compétences techniques. En 2017, les deux femmes ouvrent donc Farine et Vanille ensemble. “J’étais naïve—j’avais seulement 21 ans. En tant qu’immigrante mexicaine, j’ai affronté des barrières linguistiques et culturelles très difficiles. Je sentais tous les jours que je devais prouver ma valeur.”

Malheureusement, les choses ne se sont pas bien terminées. Le style culinaire mexicain de Mariana Martin ne convient pas à la partenaire —avec des conchas et autres pâtisseries traditionnelles— ce n’était pas ce que son associée souhaitait. Le projet de boulangerie Farine et Vanille échoue et en 2020, son permis de travail n’est pas renouvelé, et avec la pandémie, son avenir était incertain. Pourtant, Mariana était déjà tombée amoureuse de Montréal! Son mari, développeur d’applications mobiles chez Lightspeed, la soutient dans sa démarche, mais il faut trouver une solution pour rester au Canada. Il leur faut trouver une autre solution. 

Un peu du Mexique à Montréal avec Carlota

Claudia Vega, la propriétaire du Café 92 à NDG, offre à Mariana de l’aider avec sa situation migratoire et lui offre de commencer à vendre du pan dulce au café. Et bientôt, même l’ambassade du Mexique entend parler d’elle. “J’étais devenue la seule boulangère mexicaine à Montréal, et la demande pour mon pain grandissait.” En même temps qu’elle travaille au café, elle crée le compte sur Instagram Carlota, qui au début s’appelle @MarianaMartinBakes. 

“Pendant deux ans, je vendais tout chaque jour. Mon père m’appelait quotidiennement pour me demander combien de conchas j’avais faites. Un jour, il m’a dit : « Je crois en ton projet et je veux t’aider à ouvrir ta propre boulangerie. »

En janvier 2021, j’ai décidé de me lancer pleinement. Mon père était malade et je suppose que son aide était sa manière de me dire qu’il avait compris que c’était ma voie. Nous avons ouvert Carlota le 20 mai 2022—l’anniversaire du décès de mon père. Ce projet était un moyen de transformer mon deuil en quelque chose de significatif.”

Pendant deux ans, Carlota était seulement une cuisine de production, mais en 2023, l’adresse s’agrandi pour en faire une boulangerie et une boutique. La communauté passe de 200 à 6 000 abonnés sur Instagram, uniquement grâce au bouche-à-oreille.

“Carlota est devenue une communauté, un lieu de rencontre pour ceux qui, comme moi, se sont un jour sentis seuls. Aujourd’hui, j’emploie et soutiens d’autres immigrants, leur offrant l’espace que j’aurais aimé avoir à mon arrivée. Mon objectif est d’éduquer les gens sur la boulangerie mexicaine, son importance culturelle, sa saisonnalité, et sa spiritualité. En tant qu’immigrante, je crois que la nourriture est une réflexion de notre identité. À travers mon parcours, j’ai grandi au-delà du rôle de boulangère—je suis cheffe, entrepreneure et ambassadrice de la culture culinaire mexicaine à Montréal.” — Mariana Martin

Si vous passez devant le Carlota, vous verrez les gens du quartier, une foule de mexicain(e)s qui vient vivre un peu de mélancolie de leur histoire à travers les délices de Mariana et son équipe. En une bouchée, on voyage à Mexico et voir le projet évoluer toutes les semaines et grandir est franchement inspirant! 


Photographié par Alison Slattery

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