Martin Picard : les rêves, la passion et la générosité mènent au succès

Martin Picard est le chef restaurateur et copropriétaire du restaurant Au Pied de Cochon, de la Cabane à Sucre Au Pied de Cochon et de la Cabane d’à côté. Il est aussi l’auteur de deux livres et de divers autres produits signés Au Pied de Cochon. Rencontre avec un entrepreneur rêveur, créatif et débordant de talent.

Martin Picard étudiait la gestion des services alimentaires gestion des services hôteliers à l’ITHQ depuis deux ans et travaillait en service avant de s’intéresser à la cuisine. « Hey, je voulais être directeur du Ritz ! » (Rires). Lors de son stage à l’Hôtel Radio Chamalières, près de Clermont-Ferrand en France, Martin a voulu essayer un poste en cuisine, « par curiosité; et ça a été le coup de foudre ! C’était la première fois où je me sentais aussi bien, où je sentais que le monde était fait pour moi. J’ai compris qu’un univers s’ouvrait à moi ; c’est seulement là que j’ai su que j’avais un amour pour la cuisine. »

Dans un cours de cuisine évolutive du professeur Jean-Paul Grappe, Martin découvre le côté créatif et artistique de la cuisine qui le passionnera tout au long de sa carrière. « J’ai compris qu’il n’y avait plus de limite ; la cuisine s’exprimait ! J’ai compris que ce que j’avais dans ma tête, je pouvais l’amener à la cuisine. » Durant ses études, Martin est envoyé dans plusieurs écoles de prestige. Il fait des passages dans de grandes cuisines, dont celles de Pierre Gagnaire, de Michel Trama et de Marc Meneau. « J’ai aimé le resto L’Espérance de Meneau pour son abondance et sa générosité. Monsieur Meneau était un personnage, il y avait un mystère qui accompagnait ce chef-là, ça faisait partie de sa réussite, je pense, il était créatif, néophyte de la cuisine autodidacte. Je l’ai beaucoup aimé. Et j’étais très étonné par la quantité de foie gras qu’ils utilisaient. J’avais jamais vu autant de foie gras de ma vie. » N.B. Au Pied de Cochon pourrait être, tous restaurants confondus, de loin le plus gros vendeur de foie gras au monde ! Statistique vérifiée et validée par la célèbre maison de foie gras Rougié.

Martin Picard commence ensuite à travailler comme garde-manger pour le chef Normand Laprise au restaurant Citrus — un restaurant haut de gamme de renommée, avec une cuisine soignée et raffinée. À l’époque, les choses étaient très différentes. Tout devait être carré; les gens ne pouvaient pas se permettre de sortir des rangs, sinon ils perdaient leur crédibilité. « Au Citrus, j’ai été fasciné parce que Normand brisait les limites de la cuisine ! Il offrait des opportunités d’expression uniques. Je sentais que je faisais partie d’une révolution. »

Il part faire des stages en France, mais à chacun de ses retours à Montréal, Martin retourne au Citrus travailler pour Normand. « Mon deuxième coup de foudre a été Normand. C’est mon père spirituel, mon frère spirituel en cuisine — c’est mon chef. Malgré tous les grands chefs Macarons Michelin pour lesquels j’ai travaillé, je m’identifie beaucoup à lui. Je suis inspiré par son courage et par sa résilience à continuer de défricher la cuisine sans jamais arrêter. Il pousse les barèmes et pousse la créativité. » Leur complicité devient une amitié très forte qui est encore unique à ce jour.

Martin doit toutefois se réaliser ailleurs. Il fait alors un passage au restaurant Globe aujourd’hui disparu, « mais ce n’était pas pour moi. Le problème, si on peut dire, c’est que ce qui m’intéressait dans la vie c’était le rêve. Cette job-là a été en quelque sorte une désillusion totale. » Les gens d’affaires du Globe font comprendre à Martin que les affaires en restauration, c’est obligatoire. « Et la restaurant c’est aussi une business. Et une business, ça a zéro émotion. Peu importe ta grandeur, tu peux couler. Ce fut somme toute, une leçon essentielle. »

C’est David McMillan (Joe Beef) qui reprend la cuisine du Globe après le passage, Martin quitte. « Lui, a trouvé chaussure à son pied à l’époque avec ce resto. J’ai énormément d’amour pour David. Consciemment ou inconsciemment, on a toujours été là les uns pour les autres, en tant qu’individus ou en tant qu’entreprises. Tout le monde est vulnérable et en restauration y’a toujours des moments heureux, et y’a toujours des moments difficiles. Et quand y’a quelqu’un qui est là pour te supporter, c’est rassurant. »

Martin fait ensuite un passage d’un an au Club Des Pins avec Danielle Matte où il retrouve du plaisir à cuisiner un menu plus simple, plus près de ce qu’il est. « Quand j’étais au Club des Pins, je cuisinais comme si moi j’allais manger pour me faire plaisir — je ne pensais pas trop, je ne développais pas trop, il y avait juste le plaisir de cuisiner et de bien manger. Quand tu travailles pour des grands restaurants, tu intellectualises tout ; tu deviens comme “mieux que toi-même”. Au Club Des Pins, je cuisinais des plats du Sud de la France et je commençais à m’inspirer des recettes traditionnelles québécoises. Je n’avais pas honte de faire des gros plats parce que ben moi, j’aime ça. » Le restaurant devient très populaire, mais Danielle Matte vend son resto et Martin Picard se retrouve sans travail.

« Là, j’ai pu eu envie de rien faire. » Elena Faita (propriétaire de la Quincaillerie Dante, d’une école de cuisine et maman de Stefano Faita) le « ramasse à la petite cuillère. » Elle le fait travailler pour son école de cuisine et lui redonne le goût de l’art de la table, lui remontre le plaisir de cuisiner et de manger. Elle s’occupe de lui et l’oblige à se remettre les idées en place. « Elena est une grande dame de Montréal. Elle a été merveilleuse pour moi. C’est la plus belle chose qui aurait pu m’arriver. Ç’a été un déclencheur pour ma réussite. »

Martin commence alors à avoir un projet qui se dessine, mais il n’a pas d’argent et pas d’expérience concrète en business. Elena Faita et Jacques Malo (pneumologue de profession) le confrontent et lui donnent l’opportunité de se réaliser. Ils investissent dans le projet de Martin et donc dans Martin, et cela lui ouvre toutes les portes. « À un moment donné tu te remets en question. Il y a tellement d’évolution dans la restauration, il y a trop de compétition, tout va trop vite. J’ai eu un break involontaire. J’ai voulu me faire une idée de ce que moi, je voulais dans la vie. Ma vulnérabilité était certaine, mais grâce à ces personnes j’ai pu réussir. Peu importe ce que je vivais ou ce que je disais, ils ont toujours été là pour me supporter. »

Le restaurant Au Pied de Cochon ouvre donc en 2001. Martin choisit le nom pour son affection incontestée de l’animal. « C’est sympathique un cochon ! » Au Pied de Cochon, Martin souhaite que les gens se retrouvent, il souhaite offrir un esprit de brasserie avec des assiettes généreuses et originales — qui lui ressemblent. Avec ce restaurant, Martin Picard brise une foule de tabous des grands restaurants de l’époque : il ouvre avec des tables en bois sans nappes (« un affront à l’époque! »), aucune fleur dans le resto (« incompréhensible »), des cuisiniers avec comme uniforme des chemises d’équipe de construction Big Bill (les premiers à faire ça !), une grande cuisine ouverte (une autre première), une poutine au foie gras sur son menu (« insolence ») et du foie gras presque partout (« manque de goût »). Avec Au Pied de Cochon, Martin Picard vient dire avec force que les standards de la gastronomie changent et qu’il est là pour le prouver. Il est le pionnier de plusieurs différents aspects de la restauration qui encore aujourd’hui ont un impact.

Comme toute personne qui fait les choses différemment, Martin ne l’a pas eu facile à ses débuts. « Quand tu ouvres, tu sais pas ce qui se passe autour, tu travailles trop fort. Tu vois rien passer, tu te bats juste pour survivre. » Martin travaille tous les jours en cuisine pendant cinq ou six ans; il se donne au maximum et s’épuise dans son entreprise. « C’était tellement difficile en fait, qu’un jour j’ai même annoncé la fermeture à tous mes employés! J’en pouvais juste plus. Marc Beaudin m’a pris à l’écart et m’a secoué. Il m’a dit que j’étais malade, et qu’il m’accompagnerait, le ferait avec moi. Des fois, tu veux juste pas monter une montagne tout seul quand t’es fatigué et qu’il y a une tempête de neige. »

La deuxième partie d’Au Pied de Cochon, c’est donc en grande partie Marc qui l’a décidée. Marc et Martin deviennent plus forts ensemble. Ils reprennent un certain équilibre et un certain recul pour pouvoir mieux contrôler et faire progresser l’entreprise. La cabane Au Pied de Cochon voit ensuite le jour en 2008. Ce projet vient d’un désir du chef de s’occuper de toute la ligne de production, du sirop d’érable jusqu’au cochon. L’établissement de renommée ouvre avec une seule section de salle à manger ; « recevoir les gens c’est ce qu’on fait de mieux. » Et il le fait encore une fois avec excès, originalité et brio. L’établissement connaît un succès monstre et la générosité et l’abondance de la cabane gagne une popularité extraordinaire. Martin Picard est le premier chef à opérer une cabane à sucre et encore une fois il devient pionnier dans un domaine.

Martin Picard a pris sous son aile de jeunes gens, travaillants et dynamiques comme Vincent Dion-Lavallée, chef exécutif et copropriétaire des entreprises Au Pied de Cochon, qui crée la Cabane d’à Côté en 2018. La Cabane d’à Côté est une cellule à part, créée de toutes pièces par l’imagination de Vincent, ses essais, ses erreurs, mais qui finalement ont donné un résultat exceptionnel. Avec la pandémie en 2020, Vincent emmène le concept des pique-niques au verger qui ouvre l’entreprise à un tout autre type de clientèle.

Les différentes entreprises de Martin continuent d’offrir une expérience unique aux visiteurs et propose une cuisine savoureuse et généreuse, mais on sent toutefois une évolution. Même Au Pied de Cochon, il est maintenant possible d’avoir des assiettes plus légères et plus santé. « Ce que tu aimes change avec l’expérience de ta vie ; l’âge ramène à une certaine réalité. Tu travailles fort pour tout faire, mais tu reviens à certaines bases. En vieillissant, je découvre des plaisirs extraordinaires à manger une carotte du jardin! C’est aussi ça la beauté de vieillir. Tous les voiles inutiles s’enlèvent et ça t’aide à voir plus clairement. Ça te permet de comprendre ce que tu aimes de plus en plus, ça te permet de te rapprocher de la simplicité. »

Quand les deux cabanes à sucre et le restaurant fonctionnent en même temps, Au Pied de Cochon embauche près de 120 employé.e.s ! « Je suis pas mal fier, oui. Les gens sont essentiels dans la réussite d’une entreprise. Ce que j’aime le plus dans la business, ce sont les relations humaines. » Sans les gens autour de lui, Martin Picard n’aurait pas pu réaliser toutes ces choses.

Mais sans sa générosité, sa passion, ses rêves, sa créativité, son audace et son brin de folie, on n’aurait pas pu connaître un homme si inspirant et une entreprise si exceptionnelle. « Quand t’es gourmand de la vie, tu aimes et tu vis passionnément. La restauration passe toujours avant tout, c’est tellement intense. C’est aussi ce qui fait la beauté du milieu ; les gens derrière vivent pour cela. Ça fait partie de son charme. » Martin Picard restera toujours, selon nous, un chef révolutionnaire, créatif et marquant de la gastronomie québécoise.

Son audace dans le domaine nous a toujours touchés. La générosité dont il a fait preuve en construisant son entreprise est remarquable. Il aurait probablement pu être plus « business », mais pour un « rêveur » passionné, il a su s’entourer des bonnes personnes et justement, réaliser ses rêves. C’est un homme de relations, de partage; un grand homme. « Plus je vieillis et plus je réalise que c’est pas tant ce que tu manges qui est vraiment important, mais avec qui tu le manges ».

On t’adore Martin. Longue vie Au Pied de Cochon et à tous tes futurs projets.


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