Vincent Dion Lavallée : le succès en restauration pensé autrement
Vincent Dion Lavallée est le chef exécutif et copropriétaire de la Cabane d’à Côté, du restaurant Au Pied de Cochon et de la Cabane à sucre du Pied de Cochon. Portrait d’un jeune homme original, talentueux, passionné, débrouillard, sensible et débordant de créativité.
«J’aime quand les choses sont imparfaites et que tu dois les rendre parfaites. J’aime l’adrénaline d’être dans une situation impossible et de devoir être extrêmement créatif, extrêmement rapidement pour la rendre possible. J’aime quand tu es tellement pris de court que ça vient te chercher en toi : tout ton jus, toute l’énergie et toute ton inventivité. La fierté de passer à travers ça, c’est priceless.»
Faire le grand saut
Si Vincent est passionné de cuisine, il n’a toutefois pas toujours su qu’il ferait carrière en restauration. «C’est tellement pas glamour comment j’ai commencé à aimer la cuisine! (Rires) C’est la mode des chefs: je faisais un CÉGEP en Sciences santé et j’étais malheureux. Tu fais ce que les autres font mais, des fois, c’était dur. À 17 ans, j’ai décidé de lâcher mon programme et d’aller faire l’ITHQ. Tout dans la vie est un choix: si ça marche, ça marche, sinon, tu fais autre chose.»
Et c’est ce qu’il a fait.
«J’ai eu un coup de foudre avec la cuisine. Je suis totalement tombé en amour avec le beat, les heures, les gens, le mode de vie, tout. Être entouré de gens passionnés, gens un peu moins passionnés, de bouffe, d’alcool: c’est le modèle le plus imparfait qui puisse exister pour le travail. Mais c’était parfait pour moi et c’était la première fois que j’étais motivé et que ça me faisait plaisir d’aller travailler… Ça me fait encore plaisir!»
Un pied au Pied de Cochon
Le restaurant Au Pied de Cochon est un restaurant incontournable et précurseur. C’est une adresse qui est venue chambouler tout ce que les gens — et ce partout dans le monde — connaissaient de la gastronomie, de la cuisine ou de la façon d’aller au restaurant.
Vincent fait son premier stage au Pied de Cochon et tombe immédiatement en amour avec le restaurant. Il s’avère rapidement très doué et est apprécié de ses profs, autant que des autres cuisiniers. Il avance dans son programme de gestion, part entre autres réaliser un stage chez Pierre Gagnaire à Paris, mais à Montréal, il travaille toujours au Pied de Cochon.
«Le Pied de Cochon est aussi le resto le plus imparfait qu’il n’y ait pas: c’est toujours plein, ça manque de place, les gens crient, les clients sont heureux, il y a une confrérie et une camaraderie uniques. J’ai tout trouvé là. Je voulais juste travailler là.»
Départ pour Londres
Vincent quitte ensuite pour un plus long stage à Londres. Pierre Gagnaire y avait un restaurant et l’obtention d’un permis de travail d’un an y était plus facile. Il y reste six mois et apprend énormément.
«Les horaires étaient encore plus difficiles qu’au Pied, mais la différence, c’était que l’argent était très difficile et le rythme de vie chère. Tu es payé au mois, tu travailles de 8h30 le matin à 1h, 2h ou même 3 hdu matin — tu vis du mieux que tu peux. Et tu penses que tu parles anglais, mais non!» (Rires)
À chaque fin de semaine, Vincent quitte Londres pour voyager en Europe avec ses collègues cuisiniers. Rapidement, il est impressionné par la proximité des pays européens et la possibilité de découvrir une gamme incroyable de différentes gastronomies aussi facilement. Il développe également une camaraderie forte avec les gens avec qui il voyage.
«Le fait d’être toujours avec les mêmes cuisiniers, ça devient comme une deuxième famille. Tout le monde est loin de chez soi, les amis deviennent comme des frères. Ces gens-là, tu vis non-stop un an avec eux, c’est unique comme expérience.»
Les deux pieds au Pied de Cochon
Entre-temps, Martin Picard ouvre la Cabane à Sucre du Pied de Cochon et révolutionne le milieu de la gastronomie au Québec: un grand chef dans une cabane à sucre, ça ne s’est jamais vu! L’établissement connaît un succès fou.
Lorsque Vincent revient au Canada, cela fait un an que la Cabane est ouverte. «Dans ma tête, je revenais vite et je repartais à New York. Mais je ne suis jamais reparti.» En fait, Vincent se fait offrir un poste officiel de sous-chef au Pied de Cochon et il accepte.
Son rôle? «En théorie, tu es sous-chef, mais en pratique tu fais juste tout. Tu es cuisinier, tu gères l’établissement, tu gères l’argent, les commandes, c’est un autre buzz. À Montréal, il n’y a pas beaucoup d’argent: aussi brillant qu’on soit, on se débrouille avec peu de moyens. C’est difficile; tout ce que tu n’as pas envie de faire toi-même, tu n’as pas le choix de mettre la main à la pâte. C’est bizarre parce qu’à l’école, on ne t’apprend pas vraiment la vie de cuisinier. Il faudrait des cours sur comment vider la trappe à graisse, faire du jardinage, de la menuiserie, de la plomberie, etc. Tout s’apprend dans ce métier-là, mais avec la pratique: le partage, le service, tu le comprends pas tant que tu ne l’as pas vécu. Tu l’apprends avec le temps. À Londres, il y avait un département de ressources humaines. La nuit, une équipe venait tout laver. Ici, ça ne marche pas comme ça. C’est toi qui laves tes hottes, tes trucs. Tu deviens débrouillard, tu apprends avec les moyens du bord.»
La vie en campagne
Puis, Vincent arrive à la cabane à sucre du Pied de Cochon et toute sa perception de la restauration change.
«J’aime que la Cabane ne soit pas un restaurant comme les autres: rien n’y est fait, tout est à faire. Tu as carte blanche, pourvu que les gens soient contents. C’est un laboratoire exceptionnel pour tout. Tu rentres dans une clique, tu as 23-24 ans, tu es “crinqué” comme un cheval, mais tu as zéro expérience. Tu sais rien faire, mais tu veux… Tu veux tellement! Ton manque d’expérience, tu le compenses par de l’énergie. Tout le monde compense pour ses manques. Les plus expérimentés mettent beaucoup moins d’efforts pour avoir un bon résultat. Et il n’y a pas de limite. Avec Martin, de toute façon, il n’y a jamais aucune limite: tu fais tout ce que tu veux, pourvu que ça plaise. Tu découvres à la vitesse grande V! Encore à ce jour, après 10 ans, la Cabane du Pied de Cochon n’a jamais cessé d’évoluer. C’est encore un endroit où on reçoit beaucoup de monde, mais qui est toujours à jour dans les tendances culinaires. Et c’est seulement à 45 minutes de Montréal.»
Vincent adore être dans le bois, dans la forêt, et il finit par ne jamais repartir. Il développe encore rapidement des affinités avec les gens avec lesquels il travaille et c’est d’ailleurs là qu’il rencontre sa blonde Marie-Claude, qui deviendra la maman de ses petites filles: «Tu crées une famille, ce sont les gens que tu vois le plus souvent, plus souvent que tes parents.»
Le plus difficile aspect du métier de chef? « C’est de ne jamais pouvoir avoir d’excuses. Rien n’est jamais pareil, mais ça doit toujours être pareil. Il y a toujours une version différente, une personne malade, etc. Quand quelqu’un est malade dans une entreprise, tu tombes sur son répondeur. Ici, il n’y a aucune excuse. Si la bonne personne n’est pas là, tu dois quand même y arriver. Tu dois conserver le même standard, tout le temps.»
« Les Blues »
«Ça faisait deux ans que le terrain du voisin était à vendre quand j’étais trop fatigué. C’était rendu trop pour moi, trop intense. Et je pense que quand tu as 30 ans, tu pognes le blues du cuisinier, tu te dis que tu vas toujours travailler pour quelqu’un d’autre, que ça ne sera jamais pour toi.»
Ayant bâti une relation unique avec Martin et toute l’équipe, la nouvelle fait tout un effet. «Une relation de travail, c’est comme un couple: quand tu coupes les liens, tu coupes les liens. Vous ne serez plus jamais ensemble. Quand tu travailles à fond, tu es tellement buzzé par le travail que tu ne voies pas nécessairement que ça arrive, mais ça arrive. Et depuis le début, ça a toujours cliqué avec Martin. Il y a toujours un chef dans ta vie à qui tu t’identifies. Moi, ça a toujours été Martin. Il est passé de connaissance, à ami, à partenaire. Maintenant il est de la famille. »
À la fin de son mandat, Vincent comprend qu’il y aura une importante coupure avec Martin et que plus rien ne sera pareil. « J’étais vraiment triste. Une semaine avant que je parte, la saison était finie, et on a eu un bon talk. Finalement, ç’a été un game-changer parce qu’on a décidé qu’on allait prendre le terrain du voisin, que j’allais continuer d’être avec lui. Par contre, j’ai mis cartes sur table : je restais si je devenais copropriétaire des business: le Pied de Cochon, la Cabane du Pied de Cochon et la Cabane d’à Côté, qui a finalement porté ce nom.» Martin Picard et Marc Beaudin acceptent et Vincent devient copropriétaire dans l’entreprise.
Dans le deal, Vincent continue de s’occuper du Pied de Cochon et de la Cabane comme il fait, mais la Cabane d’à côté est son projet à lui.
La Cabane d’à côté: le projet de Vincent Dion Lavallée
Pendant six mois, il construit la Cabane d’à côté. Encore une fois, des liens uniques se tissent avec les gens qui s’investissent avec lui dans le projet et viennent l’aider dans sa folie.
«Martin m’a appris: quand tu crois en quelque chose, c’est la base de tout. Ensuite, il faut bien s’entourer pour y arriver. Avec une gang de monde talentueux, tu es pas mal plus fort; les gens autour de toi, c’est tout pour arriver à quelque chose. Tu crées des hauts et des bas, des relations d’entraide, etc. Pour moi, ça reste les plus beaux moments dans une année. La Cabane d’à Côté, c’était mon nouveau projet. J’ai tellement travaillé plus fort, tout était nouveau. Et quand c’est ton projet, les heures et l’énergie que tu mets sont incommensurables. C’est en partie de la folie. Quand tu rentres, tu as beau avoir la passion, faire la vaisselle à 3 h du matin, y’a personne qui fait ça par passion, mais tu le fais par folie.»
Vidéo : Bruno Florin — Podcast Bouche Pleine (les sous-titres en français sont disponibles ici)
La Cabane d’à Côté est une cellule à part, créée de toutes pièces par l’imagination de Vincent Dion Lavallée, ses essais, ses erreurs, mais qui finalement ont donné un résultat exceptionnel.
«Le projet en tant que tel, c’est mon bébé. Le look, la bouffe, la proximité avec les gens, l’échelle humaine de la chose. Ce que je déteste, c’est probablement la même chose! (Rires) J’aime être en charge, l’entraide à travers tout; ça prend plusieurs bonnes idées pour créer la meilleure. En gang, tu es plus intelligent et avec toutes les idées de tout le monde mises ensemble, tu es le meilleur. Tout est fait maison ici: c’est beaucoup plus facile à acheter qu’à faire, mais on a compris ce qu’on doit faire exactement et on essaie de le faire du mieux qu’on peut.»
L’adresse est définitivement parmi nos préférées; une des meilleures nouvelles adresses de Montréal et des alentours sans contredit. Il figure sur notre liste des meilleurs restaurant des Laurentides.
Aurais-tu choisi d’être chef si tu savais tout ce que ça implique? « Sûr à 100 % que je l’aurais choisi! Pourquoi je ferais ça? Faut que tu aimes ça. Si tu aimes ça, ça marche. J’ai 30 ans, 3 restos, un enfant – et une blonde extraordinaire qui s’occupe de mon enfant — tu as toujours besoin d’avoir quelqu’un derrière qui te supporte. J’adore la diversité du métier. J’adore avoir la chance de me promener sur une terre qui est à moi, pouvoir faire mille choses tout le temps, pouvoir faire les choses que j’aime le plus: cuisiner et servir le monde. Quand tu es en restauration, tout ce que tu fais c’est pas mal ça: tu es au service des gens. Si tu ne fais pas ça pour ça, tu te plantes big time. Tout ce qui entoure les loisirs, c’est comme ça.»
Mais si Vincent a le succès qu’il a aujourd’hui, la route n’a pas toujours été facile, et c’est peut-être ce qui rend le personnage si touchant. «Quand t’es le mouton noir, les gens t’oublient, et ça te permet de prendre ton envol et de dépasser tout le monde. Tu es la personne qu’on avait sous-estimée et qui prend du marché aux plus gros et qui brille de mille feux. Sous les radars, tu fais les choses autrement et tu remontes à la surface comme une bouée sans que personne n’ait compris. Et si ton resto est plein, tu as raison. S’il continue d’être plein, tu as encore raison. C’est aussi simple que ça.»
Le Pied de Cochon est toujours plein. La Cabane du Pied de Cochon est toujours pleine et la Cabane d’à côté est toujours pleine. Pourtant, quand on rencontre Vincent, le jeune chef n’a pas un ego démesuré et a su garder sa curiosité, son désir constant de s’améliorer et sa créativité. C’est un de nos chefs préférés. Un grand chef de la relève.
Merci à notre partenaire Cacao Barry de rendre possibles les portraits de ce site.
Écrit par Élise Tastet
Photographié par Alison Slattery