Robin Filteau Boucher : les temps fous du Parapluie

On entre au Parapluie vers 14h, un mercredi après-midi. Dans la cuisine ouverte, le chef Robin Filteau Boucher et son sous-chef, Han-Julien, décortiquent des queues de homard. Dans un grand chaudron, un bouillon au fumet alléchant frémit doucement. En salle, Charles, le serveur, passe un dernier coup d’aspirateur, pendant que Karelle classe les menus et passe en revue les réservations. Derrière son bar, Félix astique ses verres. À quelques heures du service, l’excitation est déjà palpable.
Depuis que le Guide Michelin a décerné un Bib Gourmand au Parapluie, les réservations arrivent à la pelle. « On était déjà pleins, mais là, je comprends plus ce qui se passe », lance Robin, un peu dépassé, mais visiblement très heureux. « On est bookés un mois et demi d’avance. Le téléphone sonne sans arrêt, on a presque besoin d’une secrétaire, plaisante-t-il. On va pas s’en plaindre, par exemple. On est ben contents! »
Le 15 mai dernier, jour du dévoilement de la première sélection du guide rouge au Québec, Robin était rivé à l’écran de son téléphone. « J’espérais avoir une mention. C’était stressant! J’avais hâte que ça arrive », raconte le chef. Puis la nouvelle est tombée à 14h05 : Parapluie n’avait pas qu’une simple recommandation, mais un Bib Gourmand! Cette reconnaissance est une grande fierté pour le chef et sa petite brigade. « Pour moi, le Bib, c’est encore plus beau qu’une Étoile. C’est exactement le concept qu’on voulait faire ici : un restaurant de quartier, abordable, avec des produits d’exception », se réjouit-il.
Là-dessus, Robin est catégorique : il n’ira pas chasser de macaron. « Moi, je veux garder mon Bib forever. C’est ça mon but dans la vie. Si on voulait avoir une Étoile, il faudrait faire des menus dégustation. Il y a des gens très talentueux qui sont bons pour faire ça, comme Simon Mathys (Mastard) et Patrice Demers (Sabayon). Moi, je suis bon pour avoir un menu à la carte pis un vibe », s’exclame le chef.
La cuisine dans le sang
Robin a su très vite qu’il voulait travailler en cuisine. « Depuis le début, j’ai toujours voulu faire ça. Ça a toujours été en moi. Je n’ai jamais fait autre chose que ça », nous confie-t-il.
Son amour pour la cuisine, il le tient de sa grand-mère paternelle, qui était cheffe privée pour une personne fortunée, puis de sa mère. Directrice de CPE, celle-ci a toujours promu une alimentation saine et locale dans son établissement. « Les enfants mangeaient vraiment bien et, par conséquent, nous aussi, on mangeait très bien à la maison. C’était très important d’être tous à la table, de manger en famille », se souvient-il.
À 16 ans, Robin est parti étudier à Whistler pour apprendre l’anglais. C’est lors de ce voyage qu’il a trouvé son premier emploi en restauration, dans un casse-croûte qui s’appelait Zogs Dogs. « On était les seuls à faire de la poutine à Whistler, puis on faisait des queues de castor. J’avais trippé, je trouvais ça l’fun parler aux clients. » À son retour au Québec, il a enchaîné les petits boulots dans des restos sur la Rive-Sud : Au Coin De La Baie, Sushi Shop, Chez Élie (« Un Libanais vraiment malade mental à Chambly. C’est genre le meilleur libanais au monde! »). Puis, fort de ces quelques expériences, il s’est inscrit à l’ITHQ, en cachette de sa mère, qui aurait préféré le voir étudier en tourisme d’aventure.
Rouler sa bosse
Au terme de sa formation en Cuisine supérieure, Robin s’est exilé en Bourgogne pour suivre un stage à l’Hostellerie de Levernois, alors en quête de son second macaron. « Ça a été un apprentissage énorme pour moi. C’était très militaire. On commençait à travailler sur la ferme à 6h du matin et on finissait à 2h du matin, six jours par semaine, se rappelle Robin. Je suis revenu changé, avec un peu plus de maturité. »
Loin d’avoir été rebuté par cette expérience éreintante, le jeune chef est rentré à Montréal plus convaincu que jamais. Suivant les sages conseils de Monsieur Lambert, un de ses profs à l’ITHQ, il a continué de peaufiner ses talents aux quatre coins de la ville. « L’important, c’est de travailler pendant 10 ans dans plein d’endroits pour apprendre le plus possible. Après, tu pourras commencer à penser à devenir chef », lui avait-il dit. « C’est exactement ce que j’ai fait », confirme Robin.
Tour à tour, le jeune cuisinier est passé par les cuisines de Chez Victoire, du Globe (en tandem avec JP Miron, qui deviendra quelques années plus tard le chef exécutif de Joe Beef), du restaurant Hà et du Lauréa, sous Hakim Chajar. La cheffe Helena Loureiro, chez qui il a travaillé pendant plus de trois ans, fut elle aussi une grande influence. « C’est une grande cheffe, qui travaille les poissons et les fruits de mer d’une façon magique. Elle m’a beaucoup appris », souligne-t-il. On a aussi pu le voir croiser le fer avec la brigade de l’émission Les Chefs! deux fois plutôt qu’une, en 2010 et en 2015, pour la saison La Revanche.
De Montréal à Bali… à Montréal
Quand son ami Kevin Latrem, alors copropriétaire des bars Fitzroy et Apt. 200, lui a proposé de partir à Bali pour ouvrir un restaurant, Robin n’a pas hésité une seconde. Leur restaurant, baptisé Gyspy Kitchen + Bar, y a remporté un vif succès.
« On ne voulait pas être des expats qui faisaient de la cuisine d’expats. On travaillait juste avec des fermes locales. J’allais au marché de poissons tous les matins. On a appris à parler le balinais, raconte le chef. Au début, quand t’es blanc, tu te fais un peu avoir. Mais quand tu te mets à parler la langue, là ils te donnent les plus beaux produits. Il faut que tu rentres dans la culture. »
« C’est une culture tellement différente. C’est très dépaysant, poursuit-il. Je viens de la cuisine française, où c’est plus rough des fois. Là-bas, tu peux pas crier après personne, sinon t’as plus de staff le lendemain. Ça m’a vraiment calmé, ça m’a forcé à ralentir. »
L’aventure du Gypsy a duré un peu plus d’une année, pendant laquelle Robin a rencontré celle qui est aujourd’hui son épouse. Puis, les associés ont plié bagage pour ramener le concept (qui deviendra un peu plus tard le Name’s on the way) à Montréal.
…à Saint-Bruno
C’est au restaurant Théophile, à Saint-Bruno-de-Montarville, qu’on a vraiment découvert toute l’étendue du talent de Robin en cuisine. Les propriétaires ont donné carte blanche au chef pour créer un menu à son image. Ouvert en pleine pandémie, alors que les voyages étaient encore interdits, le restaurant a remporté un succès instantané. « C’était un gros resto! Ça marchait en tabarouette les deux premières années. On faisait 200 couverts tous les soirs. C’était fou! »
C’est là que Robin a rencontré la sommelière Karelle Voyer, avec qui il a bien vite développé des atomes crochus. Ensemble, ils échafaudaient déjà le projet d’ouvrir leur propre restaurant. « Ça faisait longtemps que je pensais à mon concept. J’avais déjà le nom, je savais exactement ce que je voulais », se rappelle Robin.
Puis, un matin, chevauchant son fidèle scooteur, Robin a remarqué une pancarte ‘à louer’ dans la fenêtre d’un local à quelques pas de chez lui, qu’il croisait tous les jours en se rendant au travail. « C’était dégueulasse, c’était abandonné et plein de graffitis partout. Puis, tout d’un coup, ils ont changé les fenêtres, ils ont mis le local à louer. J’ai appelé, on a fait la visite et on l’a pris. »
Quelques mois plus tard, en février 2024, Robin et Karelle ouvraient leur petit restaurant de 32 places : Parapluie.
Parapluie et cie
« Quand on a ouvert, j’avais vraiment peur qu’on n’arrive pas à remplir le restaurant, se souvient Robin. Puis, la première semaine, c’était plein. Ça n’a jamais lâché depuis. »
Au départ, la petite équipe était formée de trois personnes : Robin en cuisine, Karelle en salle et Félix au bar. Bien vite, le trio se rend bien compte qu’il leur faudra de l’aide. « Ça a été beaucoup d’apprentissage », poursuit le chef, qui s’est depuis entouré en cuisine d’un sous-chef, d’un aide-cuisinier et d’un précieux plongeur, Aimé. « Là, je sens qu’on a compris c’est quoi la machine du Parapluie. Ça devient une routine, on a du fun. »
Le restaurant s’est tour à tour classé parmi les meilleurs nouveaux restaurants du magazine En Route d’Air Canada et du palmarès Canada’s 100 best. « En route, ça a été crazy. Ça a vraiment changé quelque chose. » Puis, plus récemment, c’était au tour du Guide Michelin de leur faire une accolade.
Qu’est-ce qui fait le succès du restaurant, selon lui ? « Vu qu’on a une cuisine ouverte et que c’est très accessible, les gens ont du plaisir au Parapluie – et nous aussi on a du plaisir avec eux. Tout le monde vient te parler, tout le monde est souriant, tout le monde est content d’être là. La musique est bonne aussi. C’est ça, Parapluie : une bonne playlist, des gens heureux, de la bonne bouffe. C’est le genre de resto où j’aimerais aller », résume Robin.
Loin de se reposer sur leurs lauriers (à défaut de leur Laurier, l’une des rares récompenses que le Parapluie n’a pas encore remportée), Robin et Karelle planchent déjà sur un nouveau projet, La cave du Parapluie, qui ouvrira à l’automne (« Mi-septembre », nous confirme Karelle de l’autre bout de la salle) dans le local voisin du restaurant. « Ça va être un bar à vin, avec quelques cocktails, une petite bière en fut et une cuisine vraiment simple. Juste du froid et du cru. Poissons, fruits de mer, charcuteries, olives. Je peux pas en dire plus pour le moment, mais le concept, ça va être comme si tu étais en dessous de l’eau », lance Robin, un sourire narquois sur les lèvres. Une aventure à suivre…
Où te vois-tu dans cinq ans, Robin? « Ici. À la même place. Avec un enfant. C’est mon autre rêve, d’avoir un enfant avec ma femme. » On te souhaite tout ça et beaucoup de bonheur en prime!
Bravo, Robin!
Écrit par Mikael Lebleu
Photographié par Mikael Lebleu