Phillip Viens : concevoir la charcuterie autrement

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Lorsque l’on rencontre Phillip Viens et qu’on lui demande si, il y a 20 ans, il se voyait travailler en restauration, il rit et répond de manière négative. Et lorsque l’on parle de la charcuterie comme vocation, il nous sert la même réponse qu’à première question.

Vous connaissez certainement Phillip à travers le signe orangé sous forme de cochon de sa boucherie « Aliments Viens » sur le boulevard Saint Laurent. On vous présente aujourd’hui le portrait d’un artisan à la personnalité humble et investie qui s’est découvert et a développé une passion pour la boucherie au fil des ans.

Rencontre avec l’un des meilleurs charcutiers en ville

Phillip et sa famille viennent de Granby, mais il a passé la majeure partie de son enfance à Vancouver.

Lorsque vient le choix de ses études Phillip décide de s’investir dans un programme en mécanisation et robotique. Le début de ses études marque également le premier contact de Phillip avec la restauration. En effet, afin de financer ses études, il partage son temps entre ses cours à l’université et un emploi de plongeur dans un petit restaurant du coin.

Pendant ses études, Phillip n’apprend pas à cuisiner, mais à organiser ses journées de travail. Nettoyer, encadrer une équipe — l’école lui dicte le bon sens, l’organisation et la minutie qui viennent avec le fonctionnement de la robotique. Étonnamment, ce cadre résonne en cuisine où il ne développe pas ses talents de cuisiner mais davantage une rigueur et une efficacité qui lui serviront pour le restant de sa carrière. Un détail qu’il retient de son expérience dans ce restaurant de chaîne : la cuisson des steaks ; « premier signe de mon futur métier de boucher, » dit-il aujourd’hui avec amusement.

Investi à temps plein dans ses « deux vies », dès la fin de l’année en raison d’une réelle surcharge de travail, il doit faire un choix. Seulement voilà, s’il met fin à son emploi, il devra arrêter ses études. Phillip décide alors de ne pas retourner à l’université l’année suivante pour pouvoir travailler en cuisine avec, en tête, des projets d’expatriation en Europe. « Je rêvais de m’installer en Europe, mais finalement ça ne s’est jamais fait ; tout s’est enchaîné vraiment vite ensuite. »

À défaut de partir en Europe, il s’installe à Montréal où son orientation vers la charcuterie se fera de manière progressive. Phillip revient à Montréal pour être cuisinier.

Pourquoi Montréal ? « Parce que Montréal a une diversité gastronomique semblable à nulle part ailleurs au Canada. J’ai compris que si je voulais travailler et apprendre en cuisine, c’était là qu’il fallait aller. »

On est en 2006 et Phillip a 20 ans. Son premier emploi à Montréal sera donc à l’institution de la rue Saint-Denis, L’Express. Il y apprend la rigueur, le travail minutieux et la préparation des viandes, des sauces et des plats.

Lors de son passage à cette adresse, il tourne dans plusieurs postes pour apprendre les grands classiques auprès d’un des meilleurs : le chef Joël Chapoulie. Il apprécie grandement la pâtisserie — « C’est un peu semblable à la charcuterie. Il faut être méticuleux, avoir les recettes exactes. Je sais faire la tarte tatin de L’Express à la perfection et c’est pour moi une grande fierté ; c’est la meilleure au monde. »

C’est aussi à L’Express qu’il tâtonne la boucherie pour la première fois. Il se familiarise avec l’art de la charcuterie française et apprend les bases de la boucherie ; saucisses de Toulouse, rillettes et autres.

Après avoir aiguisé ses couteaux à l’institution de la rue Saint-Denis, Phillip décide d’élargir ses horizons et fait une demande d’emploi au restaurant DNA (aujourd’hui fermé) sans penser vraiment que sa candidature serait retenue. C’est à l’époque Derek Dammann, chef de cuisine qui le prend sous son aile, le forme minutieusement et l’aide à perfectionner ses techniques dans tous les domaines en cuisine.

L’établissement connaît un succès monstre et attire le tout-Montréal grâce à son décor chic et sa cuisine raffinée et originale. Phillip y restera quatre ans et demi.

Sans attente particulière, il commence comme second le midi et note tous les conseils qu’on lui donne pour s’améliorer. Ici encore, le côté boucherie n’est pas son premier choix, mais il y revient de manière spontanée grâce à son poste de grillardin le soir. Il applique les bases acquises à L’Express en boucherie et prend ce volet en main au restaurant. En parallèle, il reprend le programme de charcuteries mis en place. Le restaurant est très « fancy », les charcuteries y sont exposées dans un cellier — tout est en métal et en verre. Fort de ses connaissances acquises à L’Express, il commence à son tour à former ses apprentis en boucherie et en charcuterie.

En peu de temps, il devient sous-chef de ce très chic restaurant

Alors qu’il travaille toujours au DNA il prend un congé de quelques semaines pour partir en Europe. Il décide d’aller en Allemagne travailler à Empelde avec Fleishirei Scheller qui lui donne une chance. « C’était vraiment particulier parce que je ne parle pas l’allemand alors lors de mon apprentissage, les bouchers me pointaient du doigt ce que je devais faire ». Il parle de sa courte expérience en Allemagne comme d’une véritable révélation sur la boucherie. « C’était une expérience très différente comparée à ce que j’avais appris au Canada. Les techniques en boucherie et charcuterie sont à l’opposé de ce que l’on apprend ici, tant en transformation qu’en découpe. Ils privilégient la découpe par muscle plutôt que par parties. » Il découvre ainsi en Allemagne un autre monde en boucherie et ramène à Montréal avec lui des connaissances et une autre vision formatrice.

Peu de temps après son retour dans la Belle Province, son ancien patron Derek ouvre le restaurant Maison Publique et Phillip le suit. Au début, le restaurant fait très peu de charcuteries et c’est la première fois que Phillip est derrière les fourneaux en tant que chef de cuisine. « Derek m’a beaucoup fait confiance, je lui dois presque tout ce que je sais aujourd’hui. On a développé le menu ensemble et j’ai rapidement eu beaucoup de liberté à faire ce que je souhaitais sous sa direction. » Rapidement, Phillip introduit beaucoup de charcuteries dans le menu. Il y perfectionne encore une fois ses techniques et font avec Dereck, du restaurant Maison Publique, une adresse réputée pour les viandes.

Entre temps Phillip est devenu parent. Rapidement il réalise qu’il ne se voit pas travailler dans un restaurant toute sa vie, il ne voit plus son futur dans ce milieu où l’on ne compte pas les heures.

Il vit alors une petite remise en question. Il n’a pas forcément envie d’ouvrir un restaurant, mais il a 28 ans et son expertise est dans la boucherie, l’alimentaire, la restauration. Après avoir réfléchi à ce qu’il voudrait faire, il prend la décision de quitter Maison Publique.

Il a 29 ans et commence à faire des charcuteries pour certains restaurants et ses amis. Son premier client est naturellement Maison Publique. Puis il vend à Fardoche (produits d’ici et d’ailleurs), mais l’épicerie ferme ses portes prématurément. N’ayant pas de local, il travaille pendant un temps dans le local de la Boucherie Lawrence.

Il connaît une petite période de déséquilibre et prend quelques heures de travail chez Maison Publique pour combler les heures tout en étant à son compte pour fournir différents restaurants de la ville.

En 2017, Phillip ouvre la charcuterie Aliments Viens sur le boulevard Saint-Laurent.

À petits pas, il s’épanouit dans la boutique ; l’espace est restreint, mais il possède une grande clientèle de restaurants. À sa grande surprise, la vente en détail est également très populaire. En seulement deux ans, la petite adresse du boulevard Saint-Laurent a développé une base de clients fidèles, toujours satisfaite des produits que la maison propose.

Et pour le futur ?

Phillip Viens a, en tête, des projets d’expansion pour la suite : augmenter la production de salaisons, de jambons, de produits secs et de saucissons. Phillip souhaite également accroître sa sélection du côté épicerie, pour « ne vendre que du bon et le plus local possible. »

Tranquillement, il laisse son équipe assumer des presponsabilités et il prend de moins en moins de place. Il est fortement aidé par Kevin Barrière, formé au Rouge Gorge comme sous-chef, désormais main droite de Phillip Viens dans la petite boutique sur le boulevard Saint-Laurent.

Exerçant officiellement et à part entière le métier de boucher, Phillip Viens prépare les charcuteries de nombreux restaurants à Montréal comme Montréal Plaza, Rouge Gorge, Philémon, Toqué!, Le Diplomate, pour n’en nommer que quelques-uns.

« En cuisine, on a toujours besoin de monde ; il faut seulement prendre le pli en ligne. La boucherie, c’est un milieu bien plus fermé, les techniques ne s’apprennent pas du jour au lendemain. » Lorsque Phillip parle de son parcours en boucherie, deux noms sortent du lot : Karsten Shelley qui lui a donné l’opportunité d’apprendre de nouvelles techniques en Allemagne et Derek Damman qui lui a donné entièrement confiance et l’opportunité de s’épanouir au contact de la viande du DNA jusqu’à Maison Publique.


Photographié par Alison Slattery

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