Francis Blais : quand sortir de sa zone de confort paye

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Chef de cuisine au Mousso, Francis Blais est devenu au début du mois le premier Québécois à remporter l’émission Top Chef Canada, summum des compétitions culinaires au pays. Rencontre avec ce jeune chef qui nous parle de son parcours et de son amour du risque.  

Avant de se trouver en cuisine, Francis n’était pas ce qu’on appelle un enfant de chœur. « À la fin de l’adolescence, ça s’arrangeait vraiment pour mal partir mon affaire. Je me retrouvais souvent dans le trouble. L’école, ça ne me plaisait pas vraiment. Donc, j’ai commencé à me chercher une job pour essayer de me remettre sur le bon chemin. »

À 17 ans, Francis débarque au restaurant Chez Delmo, CV à la main, pour appliquer au poste de plongeur. Il est accueilli par une magnifique hôtesse. Aussitôt, il se dit : « S’il y a du beau monde de même, c’est sûr que je veux travailler là. Ça serait un bon début de bien s’entourer ».

En plus de se trouver une blonde qui le supporte encore aujourd’hui – l’hôtesse en question, Francis est embauché à la plonge, position qu’il n’occupera qu’un seul mois. « La plonge était dans la cuisine, donc pendant que je travaillais je voyais les cuisiniers. C’était super beau ce qu’ils faisaient. Dans ce temps-là, je ne mangeais pas beaucoup de poissons et ils me faisaient aimer ça. Je trippais sur leur travail. » Après quelques semaines d’observation, Francis se retrouve au garde-manger où il prépare les entrées froides. Un an plus tard, il est nommé chef de soir.

La détermination et le grand intérêt pour la cuisine que Francis manifeste ne passent pas inaperçus aux yeux du propriétaire Benoît Dessureault. « Un jour, il m’a dit : “« Tu as vraiment l’air d’aimer ça. Tu es tout le temps ici et tu te sens à ta place. Va à l’ITHQ. ” » Benoît lui offre même de financer ses études, mais Francis préfère y aller par ses propres moyens.

À l’ITHQ, Francis poursuit sa formation en cuisine tout en continuant à travailler Chez Delmo en soirée. Son dernier stage le mène au Kitchen Galerie où il découvre une cuisine plus expressive qui se distance de l’approche plus traditionnelle de sa première expérience en cuisine. En sortant de l’école, Francis se joint officiellement à la brigade du Kitchen Galerie rue Jean-Talon Est où Mathieu Bourdages et Mathieu Cloutier continuent de stimuler la créativité du jeune cuisinier.

Inspiré par sa copine qui étudie à l’université, Francis cherche aussi à parfaire son art. « Je trouvais que j’étais juste un cuisinier comme n’importe quel autre. J’ai donc essayé de me démarquer en travaillant dans les meilleurs restaurants. » Francis dépose donc sa candidature à la table montréalaise du Chef Daniel Boulud, Maison Boulud.

Aujourd’hui, Francis reconnaît que son passage dans les cuisines d’un restaurant du calibre de Maison Boulud a été une des expériences les plus enrichissantes de sa carrière. Il est exposé pour la première fois à la compétitivité d’une table réputée et d’une grande brigade. C’est aussi ici que Francis fait la rencontre de Massimo Piedimonte futur chef-exécutif du Mousso. Toutefois, à l’époque, Francis ne s’y sent pas particulièrement à son aise. En quittant la Maison Boulud, Francis décide de prendre du recul et de quitter le monde de la cuisine pour aller compléter un certificat aux HEC en entrepreneuriat. « Tout ça, ça m’a fait réaliser que ce que j’aimais vraiment c’était l’entraide d’une petite brigade où l’objectif est simplement de faire la meilleure bouffe possible. »

Alors qu’il termine son certificat, Francis entend parler d’un restaurant qui devrait ouvrir prochainement sur la rue Ontario Est : Le Mousso. Derrière le projet se trouve Antonin Mousseau-Rivard et Massimo Piedimonte, avec qui Francis a un peu perdu contact. Le soir de l’ouverture, Francis décide de venir faire un tour. « Finalement, je suis resté jusqu’à trois heures du matin à boire de la bière avec Anto ».

Quelques jours plus tard, Massimo appelle Francis pour lui demander ce qu’il avait pensé de sa soirée. Finalement, la conversation dérape et Massimo lui dit : « Je suis sûr que tu aimerais ça. La vibe est malade, on fait de la bonne bouffe et on pousse tous dans la même direction pour s’améliorer. » Après une deuxième rencontre avec Antonin, Francis embarque dans le projet et rejoint la très petite brigade du Mousso, composée à l’époque de seulement quatre cuisiniers : « Je suis tombé en amour avec cette place-là, avec l’équipe. À partir de là, on s’est juste élevés ensemble. »

Rapidement, Le Mousso est devenu un nom à retenir dans le paysage gourmand montréalais. « Le projet a grossi et c’est devenu occupé vraiment vite, donc rapidement on était rendus une dizaine en cuisine. » Alors qu’Antonin se distancie des cuisines pour se préparer à l’éventuelle ouverture du Petit Mousso, ce dernier confie la cuisine du Mousso à Massimo, qui prend en charge le menu et l’organigramme du restaurant, et à Francis, qui supervise l’exécution et gère la brigade.

En tant que chef de cuisine, Francis s’épanouit dans l’environnement créatif du Mousso. Il adore la mentalité de la maison qui pousse son équipe à remettre en question les techniques pour se les réapproprier : « L’objectif est de se simplifier la vie pour pousser encore plus loin et obtenir plus de détails ». De plus, les cuisines de Mousso ont une règle stricte qui interdit à n’importe quel produit venant d’ailleurs d’y entrer. Cette restriction motive la cuisine à être créative et à découvrir de nouveaux produits. Selon Francis, il a adopté Le Mousso, car le restaurant ne cesse jamais de le forcer à sortir de sa zone de confort, de le confronter à des situations nouvelles ce qui le pousse à exceller.

Dans cet esprit, durant les quatre dernières années, Antonin et Massimo ont permis à leur chef de cuisine de partir en stage à trois reprises, pour une durée totale d’un an. Il part à Copenhague, aux Îles Féroé et à Berlin. « Les Danois ont un amour fou pour leurs produits locaux et sauvages et j’ai adoré comment ils les conservent pour les utiliser plus tard. Ce processus forge réellement une identité à leur cuisine ». De retour à Montréal, Francis s’efforce de transposer cette approche aux assiettes du Mousso.

Début 2020, Francis reçoit un texte de la production de l’émission Top Chef Canada qui est en recrutement pour la huitième saison. Les responsables aimeraient que Francis s’inscrive aux auditions. « Mon premier réflexe était de répondre non parce que j’étais déjà débordé avec le resto, mais quelques secondes après j’ai appelé ma blonde et je lui ai demandé ce qu’elle en pensait. » « Ça fait un an qu’on dit que tu veux avoir un peu plus de visibilité, que tu aimerais avoir ton propre projet. Tu es stupide si tu dis non à ça. Penses-y deux secondes. »

Suite à cet échange, Francis remplit la demande, passe les auditions et « un mois plus tard, j’étais à Toronto pour filmer l’émission ». Soutenu par l’équipe du Mousso, Francis prend deux semaines de congé avant le début du tournage pour pratiquer et peaufiner ses techniques.

Un mois plus tard, Francis Blais est couronné Canada’s Top Chef, le premier Québécois à recevoir cet honneur. « Je suis ultra-fier d’avoir remporté ça en tant que Québécois et Montréalais car ça représente bien notre persévérance et notre passion. On est du monde passionné et on aime les choses bien faites. » Sur les huit défis, Francis en remporte quatre. Ses meilleurs souvenirs sont les défis où les compétiteurs devaient créer une assiette inspirée d’une culture culinaire étrangère. Il pige tout d’abord le barbecue turc, puis la très précise et minimaliste cuisine romaine. Pour Francis, sa bonne performance lors de ces défis témoigne de la richesse de la gastronomie montréalaise, qui brille grâce à sa diversité.

« Je trouve ça cool que ça a bien été parce que pour la plupart des défis j’ai mis la barre très haute. » Lors du tout premier défi, il réalise un plat de pâtes fraîches en 30 minutes, à la grande surprise de tout le monde en cuisine, juges inclus. « Ça a souvent passé très proche que je ne finisse pas. On parle de secondes avant de mettre des choses dans l’assiette. Et là-bas, il n’y a pas de niaisage, si tu ne le mets pas dans l’assiette, il n’y a pas de plat et tu es éliminé. J’ai pris des risques avec des recettes compliquées, mais que je maîtrisais. »

La victoire était accompagnée de l’agréable somme de 100 000$ et d’un voyage pour deux, qu’il risque assurément de partager avec sa douce moitié à qui il a promis une bague durant l’émission. Avec l’argent, Francis prévoit investir en lui-même. Il parle d’un plan de compagnie (Menu Extra) de condiments fermentés de type miso et sauce poisson, sans toutefois quitter Le Mousso. « L’idée est d’insuffler une touche montréalaise à ces ingrédients phares de la cuisine japonaise dont les saveurs umamis s’inscrivent dans une riche tradition millénaire, souvent méconnue des Occidentaux. Notre but est de démocratiser l’utilisation des condiments qui ont façonné la gastronomie nippone et de les faire rayonner dans un contexte d’un menu extra montréalais de tous les jours. Une explosion de saveurs quoi!. » De plus, le gagnant de Top Chef Canada ne cache pas son rêve d’avoir son propre restaurant et affirme « ne pas en être si loin que ça ». Il parle d’un restaurant ultra-intime avec une cuisine raffinée et réfléchie autour de produits québécois qui l’inspire. À suivre…


Photographié par Jeremy Dionn

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