Hugo Duchesne, grand gagnant du Meilleur Sommelier du Québec 2020 : le leadership à son meilleur
Détenteur d’une maîtrise en littérature à l’Université McGill, professeur de sommellerie à l’Institut d’Hôtellerie et Tourisme du Québec, sommelier en charge du programme vin au restaurant vainqueur du Wine Spectator Grand Award de 2018 à 2020, et meilleur sommelier du Québec en 2020, Hugo Duchesne est une des rares personnes à avoir accompli autant d’exploits au cours de leur vie. L’homme au parcours époustouflant ne cesse d’impressionner par ses prouesses et ses réussites professionnelles.
Le parcours d’Hugo Duchesne commence à la Fromagerie Hamel du Marché Jean-Talon. « Je travaillais une trentaine d’heures à la fromagerie pour pouvoir payer mes études universitaires en littérature. En barrant ma bicyclette à 7 h le matin, j’étais témoin de cette vie gourmande auprès de laquelle je gravitais. L’odeur du pain fraîchement sorti du four, les producteurs qui préparaient leurs kiosques avec leurs merveilleux produits, les cargaisons de poissons et fruits de mer qui débarquaient à la poissonnerie, tout me fascinait ». Le propriétaire de la fromagerie était un grand collectionneur de vin. En guise de reconnaissance suite à une bonne semaine de travail, il récompensait ses employés en dégustant avec eux une bonne bouteille de vin provenant de sa collection personnelle. « Chassagne-Montrachet, Givry 1erCru, Gevrey-Chambertin, nous goutions à des vins exceptionnels. Une des phrases dont je me souviendrai toujours qu’il nous répétait : ce n’est pas pour vous impressionner que nous buvons cette bouteille, c’est parce que vous êtes capables d’y gouter ». C’est de cette manière qu’Hugo s’immisce dans le monde du vin.
Maîtrise en main, Hugo Duchesne décide de s’inscrire au doctorat qui devait se dérouler à Paris. « J’étais déterminé à entreprendre mon doctorat en France mais, à la place, j’ai décidé de prendre une pause. Pendant cette pause, je me suis inscrit à l’École hôtelière de Laval pour suivre un cours en sommellerie. Jamais je n’aurais cru que cette décision me pousserait à arrêter mes études en littérature pour me consacrer entièrement au domaine du vin ».
Après ses études en sommellerie, Hugo Duchesne se dit fin prêt à amorcer sa carrière dans le monde de la restauration. « J’ai un parcours assez particulier. Je dis souvent que j’ai commencé ma carrière par la fin, c’est-à-dire en ouvrant un restaurant, la Montée de Lait en 2004 ». Après avoir déménagé du Plateau Mont-Royal au centre-ville sur la rue Bishop pour finalement s’installer sur le boulevard Saint-Laurent, la fin de cette institution commençait à se faire sentir. « On a connu sept belles années sur huit, on a perdu notre chef-propriétaire. Qu’on le veuille ou non, quand tu perds ton chef-propriétaire, rien n’est pareil. On vivotait au lieu de survoler. On disait à nos employés qu’on allait peut-être fermer le restaurant et que s’ils se faisaient approcher pour des offres ailleurs, de les prendre ». Au même moment, Hugo reçoit une proposition par l’équipe du Laurie Raphaël, clients réguliers de la Montée de Lait à l’époque. « La fermeture du restaurant est venue aux oreilles de Daniel Vézina. On s’est rencontrés et j’ai accepté leur offre en 2011 comme sommelier en chef des deux restaurants Laurie Raphaël. Ça m’a permis de continuer ma passion qui avait débuté à la Montée de Lait, sans avoir le poids d’être propriétaire. Ma nouvelle réalité me permettait de faire réellement de la sommellerie appliquée ; j’ai adoré apprendre la gestion, gérer deux cartes des vins à 200 kilomètres l’une de l’autre avec un programme de vin ambitieux, une réalité à Montréal, une autre à Québec, travailler avec deux brigades différentes, que ce soit sur le plancher ou en cuisine, une cuisine qui, sans se dire gastronomique, avait une réelle rigueur dans l’assiette. Ça réellement été sur superbe école de gestion pour moi ».
En 2014, au milieu de son apprentissage au Laurie Raphaël, Hugo Duchesne reçoit un e-mail provenant de l’Institut d’Hôtellerie et de Tourisme du Québec. « L’Institut cherchait un professeur en Découverte du Vin 2 pour la dernière portion du cours, le volet suggestion service conseil. C’est six cours, 24 heures, on y apprend comment monter une carte des vins, comment acheter du vin, comment en vendre, les catalyseurs d’alliance en accord mets et vins, un cours sur la sommellerie actuelle dans l’état où elle se déploie en commercialisation. J’ai accepté l’offre et cela s’est super bien passé ». Dès l’automne suivant, Hugo obtient un poste à temps plein à l’ITHQ. « Je trouve ça drôle parce que mon but initial était de faire mon doctorat en littérature pour pouvoir l’enseigner, donc je me retrouvais à suivre mes anciennes amours mais avec ma nouvelle passion, la sommellerie ». Hugo réussit à jongler habilement avec son nouveau poste à titre de professeur à temps plein à l’ITHQ et son poste de sommelier en chef des deux Laurie Raphaël.
Il fonctionne entre ces deux emplois jusqu’en 2015. L’année suivante, une nouvelle opportunité s’offre à lui : « J’avais des étudiants qui devaient faire des stages, donc je devais aller dans leur lieu de stage pour pouvoir avoir la preuve que les étudiants avaient bel et bien travaillé à cet endroit. C’est à ce moment que je rencontre Ian Purtell, le directeur de la restauration du Coureur des Bois ». En se rendant dans la cave, il réalise le potentiel de l’endroit. « Par le passé, j’ai toujours acheté des vins selon mes convictions. J’avais un style de vins des plus propres provenant de levures les plus naturelles possible et intrinsèques au lieu où le vin a été fait ; je voyais cette dimension continuer, mais il y avait tout un rapport à une carte où il y a un déploiement de verticale de millésimes de vins iconiques. Je me rendais compte que cette cave à vin aurait bien pu se trouver à Paris, à New York, ou bien à Londres. Et ça, en termes de leadership de sommellerie, ça me plaisait ». Il délaisse alors le Laurie Raphaël pour le Coureur des Bois en 2016 pour y travailler à titre de sommelier en chef et rejoint ainsi plusieurs anciens étudiants, maintenant jeunes sommeliers.
Lors de son embauche, les propriétaires du Coureur des Bois ont un but bien précis en tête et en font la mission de Hugo : acquérir le titre de Grand Award of Excellence du Wine Spectator. « Le Grand Award, ce n’est pas juste avoir du Petrus et du Mouton-Rothschild 1961, c’est beaucoup plus complexe que ça. Cela comprend le nombre de vins au verre, comment sont-ils conservés, comment la carte des vins est bâtie, quelles sont les prémisses d’achat. C’est une mention extrêmement difficile à avoir, ce n’est pas pour rien qu’il y a seulement 100 restaurants au monde à avoir cette mention. Ma mission était d’amener tous mes contacts en importation privée, mes allocations de vins et mon expérience en restauration, que ce soit au niveau des achats ou de mon expertise sur le plancher ». Depuis 2018, le Coureur des Bois figure au sein de la liste très sélect des 100 restaurants au monde à avoir reçu ce Wine Spectator Grand Award.
Il faut savoir qu’en 2011, Hugo Duchesne avait déjà participé au concours du Meilleur Sommelier du Québec. C’est Ghislain Caron, ancien meilleur sommelier du Québec et des Amériques en 2004, qui prend contact avec Hugo pour lui demander de participer. « Dans ce temps-là, comme j’aime dire, je travaillais 102 heures par semaine, je n’avais aucunement le temps de me préparer. Je travaillais à temps plein, je ne maîtrisais pas la théorie pointue. Mes règlementations, appellations, et cépages n’étaient pas fraîche dans ma tête. Une chance que je ne me sois pas classé dans les trois finalistes, parce que j’aurais eu l’air fou en public. C’était la première fois que je passais un concours, je n’aurais pas su quoi faire en finale. Malgré tout, j’avais adoré mon expérience. C’était le parfait mélange de rigueur, de stress et de camaraderie. Pour un premier concours, cela s’était bien passé ».
Au cours des années suivantes, Hugo décide de ne pas retenter sa chance au Meilleur Sommelier du Québec. Cependant, en 2018, son expérience et son expertise l’amènent à entraîner Carl Villeneuve pour le Meilleur Sommelier du Monde. « En mai 2018, Carl finit troisième au Meilleur Sommelier des Amériques. On avait adoré notre expérience, cela s’était super bien passé. Octobre, novembre, décembre 2018, janvier et février 2019, j’entraîne Carl puisqu’en mars 2019, Carl compétitionne au Meilleur Sommelier du Monde en Belgique. L’ITHQ me permet d’accompagner Carl à sa compétition. Au courant de ma semaine avec Carl, j’ai eu la chance d’être au cœur même de la compétition, sans y participer directement. Je voyais le stress de Carl, on se parlait après les épreuves, j’étais content de vivre cette expérience avec lui. Et à ce moment, il y a eu un déclic. Pendant que j’entraînais Carl, je ne me sentais pas comme un entraîneur, mais plutôt comme un candidat. J’ai compris que ce chapitre-là n’était pas clos, que je pouvais encore participer à des concours puisque ce sentiment s’était réveillé avec Carl. J’ai décidé d’en discuter avec Carl et Minh Doan, ancien étudiant de l’ITHQ et sommelier au Coureur des bois, et ils ont accepté de m’entraîner pour le Meilleur Sommelier du Québec 2020 ».
Hugo a donc un an pour se préparer pour le concours. Il peaufine sa théorie, sa dégustation, son service, son approche du service à la clientèle, sa gestion du stress, et sa communication avec un jury. « Je n’ai laissé aucun détail sur la table, je me suis réellement préparé pour un concours. Je m’inspirais de la théorie de formation du Court of Master Sommeliers puisque depuis 2015, je suis en route pour le titre de Master Sommelier. Le cours de Master Sommelier est divisé en quatre niveaux. En 2015, je m’étais inscrit au niveaux 1 et 2 à l’Auberge Saint-Gabriel. J’étais un peu réticent au départ, mais à mon grand étonnement, j’ai adoré. J’ai adoré le leadership des Master Sommeliers, leur maîtrise complète et totale de la théorie, leur vulgarisation de la dégustation et leur sens de l’hospitalité, le côté humain qui passe avant le coté mécanique du service. Pour moi un Master Sommelier, c’est quelqu’un qui va excessivement vite à vélo, sans avoir besoin de mettre ses mains sur son guidon. Il lui reste donc deux mains pour aider les gens autour de lui, pour vulgariser. Je trouvais que c’était ce qui me manquait, puisque la sommellerie francophone a ses limites, même la plus pointue que l’on puisse trouver au Québec. Je vois le Court of Master Sommelier comme un doctorat, une manière pour moi d’approfondir encore mes connaissances. Pour moi le Court, ce n’est pas juste une destination, c’est aussi un trajet. J’ai toujours eu envie de faire ce trajet, et parallèlement, cela m’a permis de me préparer pour le Meilleur Sommelier du Québec. Un concours de sommellerie, c’est de pouvoir syncoper tous les instants d’un réel service en salle à manger ».
En mai dernier, les 12 candidats sélectionnés se présentent à l’ITHQ pour le concours de Meilleur Sommelier du Québec. « On a reçu l’ordre du jour, nous devions être là à 8 h 30, nous commencions par un examen théorique, puis une dégustation à l’écrit, 40 minutes pour quatre vins, puis un exposé oral devant un jury et ensuite une pause dîner. Après la pause dîner, trois candidats passent en finale, le vainqueur était annoncé vers 17 h 00-17 h 30 et la journée se terminait vers 18 h. Pour moi, ma journée se terminait à 18 h. J’étais immédiatement dans une posture où j’allais me rendre jusqu’au bout. Cette journée-là, j’étais en pleine forme, en pleine possession de mes moyens. Les épreuves étaient difficiles, mais globalement, j’ai bien performé. C’est sûr qu’il y aura toujours des petits trucs à améliorer, mais j’étais fier de moi. Le concours de Meilleur Sommelier du Québec, à mon avis, était de pouvoir réunir mon expérience de salle à manger, le plaisir de la dégustation et puis le plaisir de la théorie à vulgariser en lien avec mon expérience de sommelier et de professeur. J’y suis arrivé ».
Hugo Duchesne est maintenant en entraînement pour le concours du Meilleur Sommelier du Canada qui se tiendra les 15-16-17 mai à Kelowna, en Colombie Britannique.
De plus, il sera à Dallas le troisième lundi du mois de juillet pour la première étape du dernier niveau du Court of Master Sommelier.
Pour ajouter à tout cela, Hugo Duchesne est également directeur sommelier au nouveau restaurant H3 et supervise une cave à vins qui contient plus de 3 000 étiquettes mettant en lumière le meilleur d’ici et d’ailleurs.
Écrit par Antoine Gariépy
Photographié par Hugo Duchesne