Michael Picard Labelle : porter l’histoire, écrire la suite
Il y a des parcours qui ne commencent pas par une décision, mais par un lieu. Pour Michael Picard Labelle, ce lieu, c’est la cabane familiale. Pas une cabane comme les autres : une cabane vivante, bruissante de traditions, où chaque membre de la famille avait sa place. “Mononc” Marc dans la vapeur du sirop, son grand-père sur la route pour livrer les produits jusqu’au restaurant sur Duluth, son frère Phil les mains à la pâte (littéralement, dans la pâte à tourtière), et bien sûr Martin qui marquait tranquillement la gastronomie d’ici à sa façon. Ses oncles Luc et Robert, eux aussi, étaient de ceux qui faisaient rouler la cabane, avec leur énergie, leurs coups de main et cette manière bien à eux de tenir la tradition debout. Michael, lui, y fait ses premiers pas à quatorze ans. Avant de se rendre où il est aujourd’hui, il a commencé au bas de l’échelon comme les autres : à la plonge !
Malgré son jeune âge, ça n’avait rien à voir avec un simple emploi étudiant. C’était le début d’une carrière, une première immersion dans un monde où la famille et la cuisine se confondaient, où le travail ne se comptait jamais en heures ou en argent, mais en moments partagés.
Du cégep en administration à l’Osteria Francescana
Pendant ses études en administration au cégep, Michael continue à travailler au resto, où il aide au niveau de la gestion. En parallèle, il participe à la toute première production de tourtières de la cabane. Phil et lui font rouler la machine, sans se douter que ce projet deviendrait une tradition annuelle aussi importante. « C’est à ce moment-là que j’ai eu la piqûre », raconte-t-il. Cette énergie créative l’amène à changer de voie et à se rendre à l’ITHQ en gestion appliquée.
Mais Michael n’avance jamais en ligne droite. Après un an et demi, il met son programme sur pause pour aller travailler dans un vignoble. Il veut comprendre l’entièreté du cycle, du champ à la table. Il fait partie de ces gens qui ont cette curiosité innée qui les pousse à vouloir en apprendre le plus possible sur les sujets qui les passionnent. Lorsqu’il revient, il retourne à l’érablière auprès de “Mononc” Marc. Cette saison-là le marque profondément. « Je ne regardais pas mon compte de banque. J’étais juste heureux d’être là et de m’imprégner de souvenirs. Je me sens tellement chanceux d’avoir vécu ça. »
Il y a des moments banals qui changent le cours d’une vie. Pour Michael, c’est une soirée devant un feu, alors que Martin lui lance sans prévenir : « Veux-tu aller en Italie ? » Une opportunité folle, improbable, presque irréelle : un stage chez Massimo Bottura. Martin lui donne vingt-quatre heures pour décider. Michael hésite, l’idée de ne pas terminer son programme à l’ITHQ le ronge, mais l’appel de l’apprentissage est plus fort. Et si c’était à refaire, la réponse resterait toujours oui.
En un claquement de doigts, le voilà à Modène, plongé dans un univers où la rigueur rencontre la poésie. Il apprend auprès d’une paire québécoise, Jessica Rosval, qui le prend sous son aile. Il passe par la cuisine de préparation, il apprend comment faire les pâtes et touche un peu à la cuisine de service. « Ils voulaient que je ressorte heureux de cette expérience », se souvient-il. Et c’est exactement ce qui s’est passé. Ces quelques mois là-bas lui ont confirmé qu’il était sur la bonne voie.
L’Espagne suit, chez nul autre que le Mugaritz. Une cuisine d’émotions, d’expériences, où il a pu connecter avec son côté artistique et minutieux. Là-bas, il grimpe les échelons pendant huit mois. « Je suis quelqu’un d’assez compétitif, alors j’ai aimé ça. » Des apprentissages qui le forment sans jamais l’éloigner de ce qui l’attend vraiment : le retour à la maison.
Retour aux sources
De retour au Québec, il travaille en cuisine de service à la Cabane avec Vincent Dion Lavallée et David Gauthier, qui deviendront plus tard respectivement les visages de la Cabane d’à Côté et du Bar St-Denis. Bien plus que des collègues, ils seront pour lui des modèles et des sources d’inspiration.
Tout naturellement, c’est son frère Phil qui reprend les rênes de la Cabane, tandis que Michael trouve son nid sur Duluth. À ce moment, c’est Emily Homsy, aussi du Bar St-Denis, qui est à la tête de la brigade en cuisine. Lorsqu’elle quitte le Pied de Cochon, la chance de Michael arrive. À vingt-trois ans, il devient chef du restaurant Pied de Cochon. « L’instinct de survie est embarqué. C’était intense, mais j’ai compris que j’étais exactement à ma place. » Il veut faire ses preuves, aux clients, à son équipe, mais aussi à lui-même. Plusieurs années plus tard, on peut dire que c’est franchement réussi.
Suivre les traces d’un pionnier
Marcher dans les traces de Martin fût à la fois stimulant et exigeant selon lui. Il en parle comme d’une présence rassurante et formatrice. Il a toujours senti que quelqu’un était là derrière lui pour le guider, l’épauler, sans jamais avoir l’impression d’être étouffé. « Oui, je me suis déjà demandé si j’allais toujours être dans son ombre. Aujourd’hui, je sais qu’il y a eu une passation du flambeau. » Le Pied de Cochon, ce n’est pas qu’un seul visage, c’est un portrait de famille.
Il doit beaucoup à ceux qui l’entourent et ceux qui l’ont formé : Martin, bien sûr, mais aussi David, Emily et Vincent. « Mes mentors m’ont formé bien plus que les excès ou les échecs. Je leur dois énormément. »
De l’excès à la douceur
Pour lui, la philosophie du restaurant est simple : des plats de qualité, réfléchis, créatifs, qui racontent quelque chose du Québec. Des assiettes qui respectent les racines mais qui n’ont pas peur de les réinterpréter. Avec le temps, il a développé sa propre vision du Pied de Cochon. Il veut casser l’image d’un endroit où l’on “sort en roulant”. « Ça arrive peut-être encore à la Cabane par contre », dit-il en ricanant. Il insuffle plus de finesse, de fraîcheur, de nuance à l’établissement. « Je voulais démanteler le stéréotype du PDC. Oui, l’excès fait partie de notre histoire, mais on n’est pas que ça. » La petite adresse pleine de cachet du Plateau ne rime pas seulement avec foie gras (bien qu’il y reste emblématique). « Quand Anthony Bourdain est venu manger ici, c’était complètement démesuré, le menu remplissait le bar au complet, avec une tête de cochon entière à lui seul ! À l’époque, c’était avant-gardiste. »
Aujourd’hui, Le Pied de Cochon continue d’être porté par cette générosité et ce côté réconfortant qui font partie de l’ADN de la maison. Michael avance dans cette lignée avec beaucoup de respect pour le travail pionnier de Martin. Il ne cherche pas à réinventer Le Pied de Cochon ou à en faire un écho d’ailleurs, mais plutôt à faire évoluer sa cuisine avec une touche créative bien à lui. Un peu plus de délicatesse, mais dans le respect de ce qui a été fait avant. Son objectif : continuer de faire grandir le restaurant et l’amener naturellement vers un autre quart de siècle.
Ce qu’il veut qu’on retienne du Pied de Cochon dans cinquante ans ? « Que nous sommes restés fidèles à qui on est. » Aujourd’hui, ce qui frappe, c’est sa constance : Michael est exactement là où il veut être, et ça se sent. Son approche est nette, assumée, forgée par l’exigence et la curiosité. Il a trouvé son langage culinaire, quelque part entre l’héritage PDC et sa propre vision : plus fine, plus réfléchie, plus personnelle. Il n’a jamais essayé de remplir les chaussures de quelqu’un d’autre. Il a compris tôt que sa force, c’est sa façon d’être et de s’assumer. La prochaine page du Pied de Cochon ? Il est déjà en train de l’écrire, et on a hâte de lire le prochain chapitre.
Écrit par Valérie Boutet
Photographié par Scott Usheroff