La ruée vers Charlevoix: rencontre avec 3 « expats »

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Difficile de décrire précisément ce qui rend la région de Charlevoix aussi irrésistible. Est-ce ses paysages à couper le souffle? La richesse du terroir local? Une perturbation des champs magnétiques causée par l’astroblème? On ne saurait dire exactement, mais le pouvoir d’attraction de la région, lui, est indéniable.

Une des choses qui nous a le plus frappés au fil de nos périples charlevoisiens, c’est la quantité de gens qui ont décidé de s’exiler des grandes villes pour s’y installer. On doit admettre que nous avons nous-mêmes été plus d’une fois tentés d’y poser nos valises et de ne jamais rentrer à Montréal. Pour mieux comprendre ce phénomène, nous avons discuté avec trois « expats » qui ont choisi de faire de Charlevoix leur nouvelle maison.

Un tout unique

Pour David Forbes, chef et copropriétaire du Camp Boule, une buvette de montagne perchée au sommet du Massif de Charlevoix, ce pouvoir d’attraction émane de trois pôles distincts: le terroir, la culture et la géographie. 

«Tu as un tout. L’agrotourisme s’est développé dans les 30 dernières années avec la Route des Saveurs et la Table agro-touristique de Charlevoix, puis avec des entreprises exceptionnelles comme la Famille Migneron, les Viandes bio de Charlevoix et le Jardin des chefs. Pour un cuisinier, ça crée un bassin de produits avec lesquels on peut jouer», explique le chef.

«Ensuite, au niveau du plein air et de la morphologie, c’est un endroit unique», poursuit-il. «Si je ne m’abuse, [l’astroblème] est l’un des plus gros cratères habités au monde. On a le fleuve d’un côté, les montagnes de l’autre, deux parcs nationaux – le parc national des Grands-Jardins et celui des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie. Pour les amateurs de plein air, c’est fantastique.»

Enfin, l’offre culturelle de la région complète le tableau: «Baie-Saint-Paul a réussi à développer une offre culturelle vraiment intéressante avec Le Festif!, le Symposium international d’art contemporain, les galeries d’art, les restaurants. C’est intéressant autant pour les touristes que pour les locaux.» Le Domaine Forget, le Musée de Charlevoix et de nombreux événements comme le l’Oiseau mécanique, Cité Mémoire Charlevoix et Cuisine, Cinéma & Confidences font aussi de Charlevoix une région prisée des amateurs de culture. 

«J’ai toujours eu une dualité entre ville et nature. Ici, je retrouve tout dans un même lieu. ​​Tu peux vivre ta vie en paix dans la nature, mais tu peux aussi voir du monde dans un contexte culturel», résume-t-il.

Le chef David Forbes dans la cuisine du Camp Boule (Photo: Emmy Lapointe, courtoisie Le Massif de Charlevoix)

De Québec à Baie-Saint-Paul, en passant par Montréal

L’histoire d’amour de David Forbes avec Charlevoix ne date pas d’hier. Tout petit, il visitait régulièrement la maison de son parrain, qui habitait la région. Ses parents faisaient chaque fois un petit détour par Saint-Joseph-de-la-Rive pour ramasser une tarte aux bleuets à la Boulangerie Laurentide. «Ça fait partie de mon ADN. C’était un endroit que j’aimais beaucoup», se souvient-il. 

Originaire de Québec, formé à l’ITHQ à Montréal, le chef a fait ses premières armes dans plusieurs établissements réputés des deux villes, dont Leméac, Le Clocher Penché et feu Le Cercle. Puis, au début des années 2000, il passe un premier été dans Charlevoix, dans les cuisines du Loufoque, qui n’a malheureusement pas fait long feu.

Quelques années plus tard, c’est Daniel Gauthier (cofondateur du Cirque du Soleil et propriétaire du Massif de Charlevoix) qui le ramène à Baie-Saint-Paul, avec la mission de créer un restaurant gastronomique pour son projet: l’Hôtel La Ferme (aujourd’hui devenu l’Hôtel & Spa Le Germain Charlevoix). Quelque temps plus tard, le restaurant Les Labours voit le jour. David y traîne avec lui quelques cuistots du Cercle, dont un certain Sylvain Dervieux, qui lui succèdera au poste de chef exécutif avant d’ouvrir son propre restaurant à Baie-Saint-Paul, les Faux Bergers

«Ce que j’aimais du nom Les Labours, c’est que ça ramène à la terre, mais c’est aussi du travail. C’est ce côté défricheur qui m’a attiré à Charlevoix», confie David. «Il y avait une tradition plus classique française dans les grandes tables, il y avait moins de cuisine québécoise.» On pense à l’Auberge des 3 Canards, au Fairmont Le Manoir Richelieu ou à Chez Truchon, un pionnier de la haute gastronomie de la région. «À l’époque, c’était plus à La Malbaie que ça se passait. Tranquillement pas vite, c’est Baie-Saint-Paul qui s’est développée», poursuit-il.

La salle à manger du Camp Boule offre une vue spectaculaire sur le fleuve, l’Isle-aux-Coudres et la montagne (Photo: Emmy Lapointe, courtoisie Le Massif de Charlevoix)

 

Puis, après quelques années aux Labours, David rentre à Québec pour ouvrir le restaurant Ciel!, au sommet de l’hôtel Le Concorde à Québec. En 2023, il retrouve enfin Charlevoix pour inaugurer un autre restaurant en haute altitude: le Camp Boule buvette de montagne, à la cime du Massif de Charlevoix.

«Pour moi, c’est un des projets les plus magnifiques. Un resto en haut d’une montagne qui ne fait pas de la bouffe congelée, qui cuisine des aliments locaux, il n’y en a pas beaucoup», se réjouit-il. Mettant de l’avant les magnifiques produits des producteurs de la région et des forêts avoisinantes, le restaurant fait le bonheur des skieurs en hiver et affiche souvent complet en été les soirs de représentations du vol de l’Oiseau mécanique.

Pour David, c’est surtout la vue imprenable sur les pentes et sur le fleuve, la communion avec la nature, qui valent le détour. «Il faut venir le voir pour le comprendre. On a l’impression d’être au bout du monde, au milieu des éléments. Ce côté brut est fascinant, puis tu rentres en dedans et c’est cozy et confortable.»

Cette fois-ci, restera-t-il pour de bon? «Je dis la blague qu’il me reste 13 ans avant la fin de ma carrière. Je me vois bien la finir ici. J’aime ça, je me sens bien ici. C’est un peu une seconde maison pour moi», répond le principal intéressé.

Benjamin et Ariane aux Jardins de la Minga (photo: Mikael Lebleu)

La terre nourricière

Grands voyageurs, Ariane Laprise et son copain, Benjamin, ont travaillé sur des fermes au Chili et en Équateur avant de finalement poser leurs bagages près de Baie-Saint-Paul, aux Jardins de la Minga.

Les deux amoureux, qui habitaient sur la Rive-Sud et la Rive-Nord de Montréal respectivement, se sont rencontrés à l’UQAM, au certificat en écologie. Benjamin avait commencé des études en génie mécanique, mais voulait se réorienter vers l’agriculture; Ariane caressait depuis déjà quelques années le projet d’avoir une ferme et d’habiter en campagne. Après quelques stages dans des fermes au Québec et à l’étranger pour parfaire leurs connaissances, les deux amoureux ont trouvé une petite terre à quelques minutes de Baie-Saint-Paul et ont décidé d’y planter leurs racines.

«On cherchait une terre agricole, mais on cherchait surtout un milieu de vie, pas juste un lopin de terre. C’était important pour nous d’aboutir dans un endroit où on était bien et où on était bien entourés, d’avoir un coup de cœur pour la région», raconte Ariane Laprise. 

Ce qui les a attirés dans la région, outre la beauté des paysages, c’est une vision à échelle humaine de l’agriculture. «Il y a beaucoup d’autres régions agricoles qui se sont développées plus intensément. Ici, c’est intéressant, parce qu’il y a beaucoup de producteurs qui travaillent à plus petite échelle», explique-t-elle.

Lancés il y a un peu plus de 4 ans, les Jardins de la Minga approvisionnent aujourd’hui plusieurs tables des environs, en plus d’offrir des paniers fermiers et de vendre leurs produits sur place et au marché public de Baie-Saint-Paul. La ferme produit une quarantaine de variétés de légumes, fruits et herbes, et compte une centaine de poules pondeuses. Ariane et Benjamin organisent régulièrement des 5 à 7 sur la ferme lors desquels voisins, clients et visiteurs se réunissent autour d’une pizza au four à bois et de bières locales. 

Mais le parcours des deux jeunes entrepreneurs n’a pas toujours été facile. Aménager une ferme bio sur un terrain de 2 hectares en friche depuis des décennies n’est pas une mince affaire. «On a eu des dépassements de coûts, qui ont entraîné des défis financiers», déplore Ariane. Heureusement, le succès inattendu de leur produit phare, le vinaigre de feu ApothicAri, dont toute la production s’est envolée dans le temps de le dire la première année, est venue assurer la pérennité du projet. 

La prochaine étape: trouver un peu de temps pour voyager, mais surtout fonder une petite famille, ici dans Charlevoix. D’ailleurs, les parents d’Ariane et de Benjamin comptent bientôt venir les rejoindre pour s’installer dans la région. Comme quoi l’idée fait des petits!

Dolci e caffè au Caffè Piada à Baie-Saint-Paul (photo: Mikael Lebleu, Tastet)

Un bout de Sicile à Baie-Saint-Paul

Comme bien d’autres exilés des grandes villes, c’est la pandémie qui a mené Antonio Russo dans Charlevoix. Quand le confinement l’a forcé à fermer son café dans l’Ouest de l’île, à Montréal, sa partenaire lui a proposé de venir se ressourcer quelques jours à Baie-Saint-Paul, où elle avait un petit pied-à-terre. 

«Moi, je ne connaissais pas Charlevoix, j’étais un petit gars de la ville», nous raconte-t-il. «J’arrive ici, tout de suite à l’ouverture de la baie, j’ai fait wow! Je me sentais un peu comme en Sicile. Je me suis senti vraiment chez moi.»

Notant l’absence de produits italiens de qualité dans la région, Antonio s’est dit que ce serait un bel endroit pour ouvrir une petite épicerie avec de la bonne bouffe et des produits importés. Cette idée est devenue le Caffè Piada, un café-restaurant-épicerie d’une douzaine de places qui propose un menu italien authentique: «On peut manger une burrata importée directement des pouilles que je vais chercher chaque semaine à Montréal, des fleurs de courgettes farcies, les polpette della Mamma, que je fais avec ma mère. On fait aussi des pinsa (pizzas romaines à la croûte mince et craquante) à la porchetta, à la salcicia, margherita», énumère le chef. Et, bien sûr, quelques dolci (desserts et pâtisseries italiens) : cannoli, zeppole, sfogliatelle.

Bien qu’on l’avait mis en garde du caractère parfois farouche des «Loups» (comme on appelle parfois les Baie-Saint-Paulois.ses) face aux «étranges» (les non-natifs de Charlevoix), Antonio s’est toujours senti accueilli à bras ouvert par la population locale. «Pour eux, c’était de l’air frais quand je suis arrivé. C’était quelque chose de nouveau dans la région», soutient-il. «Les gens sont épatés. Ils me disent toujours: quand on rentre ici, on se sent comme en Italie!»

Antonio, lui, a découvert un coin de pays incroyable aux paysages époustouflants et, surtout, la tranquillité qu’il avait rarement connue dans sa vie d’avant.

«Le panorama est éblouissant. On est au paradis, on est en vacances», lance-t-il. «J’aime le côté paisible, qui permet de me retrouver. Parce que c’est quand même demandant, le métier de restaurateur. Un bon petit verre sur le bord du fleuve à l’aperitivo, avec une petite bouchée, c’est magnifique», poursuit-il.

Bien qu’il ressente encore parfois l’appel de la grande ville – l’animation, les petits cafés à chaque coin de rue –, Antonio compte bien rester encore un moment à Baie-Saint-Paul. «Piada se porte bien et ma clientèle est incroyable. Est-ce que je vais rester? L’avenir nous le dira!»

Antonio Russo du Caffè Piada à Baie-Saint-Paul

Arrivederci, Antonio! (photo: courtoisie Caffè Piada)


Photographié par Mikael Lebleu

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