Confidences de chef: 5 minutes avec Chloé Ouellet d’Au Pâturage

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En collaboration avec Aliments du Québec au menu, on vous propose une série d’entretiens intimistes avec des chef.fe.s et restaurateur.trice.s qui ont à cœur de faire rayonner dans leurs assiettes les produits d’ici. Cette fois-ci, on se déplace du côté du rang Saint-Joseph à Sainte-Perpétue pour rencontrer Chloé Ouellet, la pétillante cheffe et propriétaire de la table fermière Au Pâturage.

C’est à Matane que la jeune cheffe à l’enthousiasme contagieux a passé le plus clair de son enfance et qu’elle a fait ses premiers pas dans la restauration, avant de s’exiler à Québec pour étudier à l’École hôtelière de la Capitale. Après avoir aiguisé ses couteaux dans les cuisines de plusieurs grandes tables de la région, elle a suivi l’amour à Sainte-Perpétue. C’est là qu’elle a décidé de planter son potager et d’ouvrir son restaurant gastronomique, Au Pâturage, où elle cultive elle-même la plupart des ingrédients qui se retrouvent sur la table.

Rencontre avec une passionnée de cuisine locale qui n’a pas la langue dans sa poche!

D’où te vient ta passion pour la cuisine? Est-ce que la gastronomie était importante dans ta famille quand tu étais jeune? 

Ça vient d’un peu nulle part. Je viens de la Gaspésie. Chez nous, mes parents ne mangeaient pas grand chose. Encore aujourd’hui, ils ne comprennent pas vraiment ce que je fais. Ils m’encouragent, mais ils ne comprennent pas vraiment. [rires] Je me souviens surtout des fins de semaine de Pâques. Mon père allait chercher du crabe et on en mangeait pendant quatre jours.

C’est vraiment à l’adolescence que j’ai commencé à avoir de l’intérêt pour la gastronomie, quand ma sœur m’a demandé d’aller faire la plonge dans le restaurant où elle travaillait. J’y ai travaillé pendant tout l’été et le chef me faisait goûter tout ce qu’il faisait. C’est vraiment là que j’y ai pris goût. J’ai fait deux saisons à cet endroit-là, puis après je suis parti à Québec étudier en cuisine. J’ai continué Chez Boulay, au Panache avant que ça ferme, j’ai fait des stages en France, puis j’ai fait l’ouverture d’Entourage sur-le-lac au Lac Beauport, qui fut toute une aventure. Ça fait maintenant huit ans que je travaille à mon compte, d’abord comme cheffe à domicile puis maintenant avec le restaurant.

Tu as quitté ta Gaspésie natale pour t’installer à Sainte-Perpétue, un petit village du Centre-du-Québec. Qu’est-ce que tu aimes particulièrement de ton nouveau coin de pays?

Tout! Mais particulièrement la proximité des producteurs. On est dans une des régions agricoles les plus importantes du Québec. J’aime aussi le fait d’être dans un village, dans un petit endroit où les gens sont tissés serrés. Je ne suis vraiment pas une fille de ville. Je pourrais avoir un chalet à Montréal, mais je ne pourrais pas y vivre tout le temps. En gros, je suis partie de la forêt pour aller vivre en campagne! 

Ça ne doit pas être toujours facile de remplir un restaurant gastronomique dans un village de 1000 habitants.

C’est un défi au quotidien de faire venir des gens à Sainte-Perpétue, mais une fois que les gens adhèrent à notre vision et qu’ils comprennent ce qu’on fait, ils reviennent nous voir. Au début, j’en ai fait des soirées avec seulement trois personnes. Malgré tout, on n’a jamais changé nos valeurs, puis aujourd’hui ça marche. Mais il y a aussi des avantages: ce que j’ai réalisé ici, je n’aurais jamais pu faire ça à Montréal ou à Québec. 

J’ai envie que les gens soient fiers qu’on soit dans leur village, même s’ils ne peuvent pas venir chaque semaine. Éventuellement, j’aimerais qu’on ait une formule un peu plus conviviale pour qu’ils puissent venir plus souvent. On fait déjà des brunchs tous les dimanches, c’est toujours plein. L’été prochain, on va faire des journées « piquette et pétanque » les dimanches après-midi. Les gens vont pouvoir jouer à la pétanque et manger de la pizza sur le four à bois avec un petit verre de vin.

Vous cultivez vos propres légumes dans le potager derrière le restaurant. Est-ce que c’est un défi supplémentaire en tant que restauratrice?

Je dis toujours qu’on n’est pas «de la ferme à la table», on est «ferme et table», ce qui signifie de gérer deux entreprises en même temps. C’est un beau défi, mais de pouvoir faire pousser tes légumes, emmener les gens dans le champ, ça n’a pas de prix. Ce n’est pas une décision qui fait beaucoup de sens financièrement, mais on ne le fait pas pour l’argent. C’est une question de valeurs.

Tu rêves d’avoir un jour une cuisine autosuffisante. Où en es-tu avec ce projet?

On n’est pas encore tout à fait rendus là, mais d’ici quelques années, mon plus grand rêve, ce serait d’avoir un menu 100% végétal. De cette façon, on serait capable d’être entièrement autosuffisant. L’été, on l’est déjà, sauf pour les viandes et les poissons. On ne pourra jamais élever du flétan dans notre champ, donc c’est difficile d’être totalement autonomes, mais on en fait le plus possible. On fait nos vinaigres, nos fermentations, nos fromages, nos cannages. Tout ce qu’on peut faire, on le fait. L’élevage, c’est une autre paire de manches. Ça prend des connaissances à part, c’est un métier en soi. 

Vous cultivez aussi des relations avec plusieurs producteurs de la région. Est-ce qu’on peut dire que tu as maintenant pris racine dans ta terre d’accueil?

Vraiment! Ça fait partie des choses que j’aime. J’aime les produits d’ici, mais j’aime encore plus les gens derrière les produits. Tu fais tellement de belles rencontres, tu découvres tellement de choses. La plus belle tape dans le dos qui nous arrive, c’est les gens qui nous écrivent pour qu’on essaie leurs produits. C’est ça qui est beau, les relations entre les gens. Un producteur connait l’autre, il nous en parle, on le rencontre à notre tour. C’est vraiment beau!

Est-ce que cet engagement à promouvoir l’approvisionnement local a toujours fait partie de ta démarche?

À l’école hôtelière, on n’utilisait pas toujours des aliments qui venaient d’ici. On apprenait à cuisiner, mais on n’apprenait pas d’où venaient les ingrédients, comment ils étaient produits. Ça a été un déclic, c’est devenu le combat de ma vie depuis ce temps-là. J’en ai appris beaucoup Chez Boulay, qui avait cette mentalité-là aussi. Et je n’ai plus arrêté de m’impliquer depuis, entre autres à travers la Fourchette bleue quand j’avais une poissonnerie. On est membres du programme Aliments du Québec au menu depuis le jour un, on avait d’ailleurs reçu une mention spéciale au Prix restaurateur en 2021. 

Moi, je suis de la génération qui a appris à recycler. Maintenant, on assiste à un mouvement de masse pour que les gens apprennent à consommer local. J’ai beau avoir une grande gueule et le crier à tout le monde de manger local, mais je n’aurai pas un aussi grand impact. Aliments du Québec au menu, c’est le plus bel outil qu’on ne peut pas avoir.

Ton aliment ou ingrédient du Québec fétiche en hiver?

Je vais faire une catégorie, je pense. Les gens ne le savent pas, mais en hiver, il y a toute une variété de petits fruits du Québec qu’on peut trouver surgelés ou transformés: l’argousier, l’aronia, la camerise, etc. On peut les travailler de plein de façons, autant en sucré qu’en salé. On mange beaucoup de petits fruits en saison, mais, une fois l’hiver venu, on devient des mangeurs de bananes et d’ananas.

Un ingrédient du Québec que tu as découvert récemment?

L’aronia. Je le connaissais déjà un peu, mais j’ai commencé à l’utiliser beaucoup parce que j’ai rencontré des producteurs qui sont venus bruncher. Frais, ça a un goût très amer, qui se travaillent bien dans les plats et qu’on peut équilibrer avec un peu de sucre. On fait des sauces, des gelées, des condiments, on l’utilise pour le brunch. Des fois, on fait décongeler des baies entières pour les faire goûter aux clients et ils trouvent ça vraiment intéressant. C’est un super fruit, qui contient encore plus d’antioxydants que les bleuets!

Il y a deux semaines, j’ai reçu l’huile de citrouille torréfiée de Tournevent. C’est vraiment la meilleure huile qu’on fait ici. Ce n’est pas une petite huile pâle, elle est vert noir. Ça goûte littéralement les graines des citrouilles grillées. On la sert avec du beurre de pomme et du phoque pour laisser toute la saveur s’exprimer.

Vous pourriez me poser la question toutes les semaines, j’essaie toujours de trouver de nouveaux produits que je ne connais pas!

Où te vois-tu dans 5 ans?

À la même place. Je suis bien dans ce que je fais. Je vais encore crier sur les toits qu’il faut consommer local. Je nous vois grossir, mais lentement, mieux. J’aimerais que les gens nous connaissent davantage, mais pour nos valeurs fortes. Peut-être qu’un jour on aura une buvette à Drummondville. Le but, c’est juste de continuer de faire ce qu’on fait et de continuer à s’améliorer.


Photographié par Mikael Lebleu et Virginie Landry

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