Benji Greenberg : une vie autour de la bouffe

Benji Greenberg

Parcours d’un chef curieux, passionné et fonceur, qui ouvre son premier restaurant la semaine prochaine!

Quand on demande à Benji Greenberg d’où lui vient son amour de la cuisine, il répond sans hésiter : « Ma famille, on cuisinait tout le temps. »
Chez les Greenberg, tout tournait autour de la table. Chaque vendredi, les deux familles – du côté maternel comme paternel – se retrouvaient pour manger ensemble. « Du côté de mon père, c’était ma grand-mère Bobbi qui cuisinait : soupe au poulet, rôti de bœuf, brisket, salade d’aubergine… Très roumain tout ça », raconte Benji avec un sourire. « Et du côté de ma mère, c’était mon grand-père qui faisait la cuisine : homard, crevettes cocktails, huîtres… Ce qui est un peu weird pour une famille juive, mais on adorait ça. »

Les repas familiaux étaient bien plus que des traditions : c’étaient de véritables cérémonies du goût. « J’étais le genre d’enfant qui voulait rester avec les adultes pour manger le repas, pas aller jouer tout de suite. C’était trop important pour moi. » dit-il en riant.

La cuisine comme refuge

À 11 ou 12 ans, un incident va marquer un tournant dans sa vie. Alors qu’il s’apprête à partir en camp de vacances, il se déboîte la hanche. Tous ses amis sont au camp, lui est coincé à la maison. « C’était 2002 ou 2003. Pas de Netflix à l’époque, juste la télé de jour. Et ce qui passait le plus, c’était des émissions de cuisine. »

Il tombe sur Licensed to Grill, une émission culinaire du début des années 2000, et sur Emeril Live. C’est une révélation. Il regarde, prend des notes, essaie. Ça devient un jeu, un défi, une passion.

Il faut dire qu’à la maison, cuisiner devient vite une nécessité : « Ma mère est extraordinaire, mais ce n’est vraiment pas la meilleure cuisinière. C’est une blague récurrente chez nous. Elle faisait des plats et nous disait que ce n’était pas si pire, qu’il fallait juste rajouter de la sauce piquante ou du ketchup pour que ça passe. »

À force d’expérimenter, Benji développe rapidement un goût pour la bouffe bien faite et les défis culinaires. Il surprend sa famille avec des soupers improvisés et ses collègues de travail avec des BBQ dès le secondaire.

Du Mas des Oliviers à New York : un début de carrière atypique

À 17 ans, il sait déjà qu’il n’est pas fait pour l’école traditionnelle. Il décroche son premier stage non payé au Mas des Oliviers. Il pèle des légumes, lave des huîtres. Mais surtout, il découvre le feu, les couteaux, les jurons en cuisine… et il adore ça. «C’était tellement cool! L’ambiance était bien meilleure que dans les salles de classe.» Rapidement, il se demande : Qu’est-ce que je fais avec ça? Il s’inscrit au Culinary Institute of America, à New York. « Je ne savais même pas que ça existait, une école juste pour apprendre à cuisiner! » Il s’immerge : cours d’histoire de la cuisine, techniques, lectures, pratique. Il travaille avec ses mains, apprend les bases, mais aussi la culture autour de la nourriture.

Il part ensuite en Chine pour un programme d’études sur la nourriture et l’agriculture. Il y découvre les marchés ruraux, goûte à tout – sauf au chien. « Tu dois te mettre mal à l’aise, ça t’amène toujours ailleurs. » Puis direction la Napa Valley pour un programme d’études chez Larry Forgione, pionnier du farm-to-table américain. Trois jours à la ferme, deux jours en cuisine. « Tu crées le menu avec ce que tu récoltes. C’est ça qui guide ta cuisine. J’ai adoré mon expérience. »

Chicago, Californie, et retour à Montréal

Après ses études, il s’installe à Chicago. Il travaille chez Momotaro (Boka Group), se forme aux techniques japonaises avec des chefs hyper pointus, puis fait un stage à Single Thread, un des temples du fine dining californien. « J’ai réalisé que le fine dining, ce n’était pas pour moi. Trop complexe, trop laborieux. J’aime quand c’est bon, mais pas prétentieux. Je n’aime pas être 15 personnes pour dresser une assiette. » Il garde cependant un amour profond pour cette région : Tomales Bay, les huîtres, le vin, la cuisine en connexion avec la terre.

Durant cette période, il fait un stage de six mois à Las Vegas chez CUT by Wolfgang Puck, où il est tombé amoureux de l’ambiance des steakhouses et a véritablement approfondi ses connaissances sur les différentes coupes et types de bœuf.

En 2017, il rentre à Montréal. « J’ai fait un petit détour par Edmonton, mais ça ne m’a pas plu. »

Son ami d’enfance, Zach Kolomeir, qui a lui aussi étudié à la CIA, reprend alors la place de chef au Joe Beef. Ils se connaissent depuis qu’ils sont tout jeunes. « On jouait au hockey dans la rue ensemble. »

Zach l’appelle : « Tu veux venir? » Benji dit oui.

Sept ans chez Joe Beef : l’école de la débrouillardise et de l’instinct

Il pensait y rester un an. Il y est resté sept. Son premier jour ? « On a mis le feu à la cuisine. Littéralement. » Bienvenue au Joe Beef  ! Quand le feu est éteint, on lui annonce que le premier service a été annulé, mais que les clients arrivent à 20 h. Il se dit : « Mais, est-ce que je suis renvoyé ?! » Et non, ce n’est qu’un mardi soir normal au restaurant.

En effet, tout va très vite ici et tout est intense : la deuxième semaine, un rappeur bloque la rue en débarquant. Des chefs de l’extérieur passent, Pierre Koffmann s’assoit à une table. L’ambiance est intense, rapide, excitante. « Il n’y avait pas beaucoup de structure. On te disait : fais une crème de maïs, mais fais-la vraiment bonne. Alors tu fais ta crème de maïs… et tu passes 12 galons de crème à la passe, sur lesquels ton collègue décide de rajouter une montagne de truffes! C’était ça l’esprit ! »

Benji a fait des stages dans des trois étoiles Michelin, mais il préfère l’approche directe et intuitive du Joe Beef : « Là-bas, tu deviens vite bon parce que tu dois t’adapter. Ça prend un type de cuisinier particulier, mais pour ceux qui aiment, c’est extraordinaire. »

Benji aime le chaos, mais sait le contrôler. Il apprend, encore et encore : boucher, saucier, cuisinier, viandes. « Je me levais le matin sans savoir comment j’allais finir la journée, mais je le faisais. Et j’ai tellement aimé la confiance qu’ils avaient en nous. J’ai appris vitesse grand V. »

Le tournant : Est-ce que c’est mon temps ?

Avec Fred Morin et David McMillan, c’était instinctif. Après l’arrivée de Jean-Philippe Miron, plus de structure s’est installée – un passage nécessaire pour gérer autant de restaurants.

Puis la pandémie arrive. Au printemps 2023, Benji sent que l’esprit du restaurant a changé. « Joe Beef se structure, les volumes augmentent, mais ce n’est plus le même restaurant où j’ai grandi. Et c’est bien correct. Mais je me suis demandé : est-ce que c’est mon temps? »

Il revient des vacances d’hiver, regarde la cuisine… et sait. Après sept ans de services intenses, de brûlures au deuxième degré, de shifts de 18 heures, il n’a plus envie de faire un autre été à ce rythme. Il veut voler de ses propres ailes.

Un rêve de deli moderne

Le déclic survient lorsqu’il voit un post annonçant la fermeture du Montreal Smoked Meat de Pointe-Saint-Charles. Puis un jour, il va manger au Snowdon Deli, où il a l’habitude d’aller depuis 30 ans, et se dit que c’est différent. « Quelqu’un doit ouvrir un deli juif délicieux à Montréal. » Mais pas un deli figé dans le passé : un deli moderne, avec des produits de qualité, fait maison, inspiré par ses racines, mais ancré dans aujourd’hui.

Benji part alors faire un voyage avec son père : Anvers, Bucarest, Munich, Berlin, Brasov. Il cherche les racines de la cuisine juive d’Europe de l’Est : le karnatzel, le pastrami, l’eggplant salad… Il plonge dans l’histoire culinaire des diasporas. Un soir, en Roumanie, son père, ému, lui dit : « Manger ici, c’est comme manger à la maison. »

Yans Deli : le projet d’une vie

La semaine prochaine, Benji ouvre Yans Deli. Un projet de cœur, dans un quartier en plein essor. Une cuisine simple, familiale, mais avec tout son savoir-faire derrière chaque assiette.

Ici, pas d’huîtres ni de homard. On vient pour un brunch, un steak and eggs avec schnitzel de veau, un pastrami maison, une soupe bien préparée. On vient pour une expérience généreuse, sans prétention avec des produits de qualité.

Le resto rue Ferrier aura un parking, une salle de bain adaptée et mêm une table à langer (!) « Je veux un endroit inclusif où tu peux venir pour un brunch, une célébration ou une shiva. Un resto simple, mais où on mange très bien et où tout est fait maison — sauf les bagels. »

Pour ceux qui l’ont connu chez Joe Beef, pas de doute : ils retrouveront Benji, toujours aussi curieux et amoureux de la bouffe, mais cette fois ancré dans ses racines, avec l’énergie d’un chef prêt à faire exactement ce qu’il aime.

À surveiller : ouverture officielle de Yans Deli cette semaine ! On a hâte.


Photographié par Scott Usheroff (Craving Curator)

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