Ariel Schor, chef du Beba : ne jamais cesser d’apprendre
Ariel Schor a été chef de cuisine à l’excellent Liverpool House pendant près de six ans. Aujourd’hui, le chef d’origine argentine reçoit, aux côtés de son frère, dans son propre restaurant, le délicieux et sympathique Beba.
Ariel est né en Argentine à Ushuaïa, la ville la plus australe au monde. Sa mère était une professeure d’anglais et, chaque midi, elle rentrait à la maison avec ses enfants pour leur cuisiner un repas chaud. La spécialité du paternel Schor était, pour sa part, les fameux asados argentins, alors qu’il faisait griller viandes et légumes sur charbon pour tous. « J’ai grandi dans une maison où mes parents étaient d’excellents cuisiniers et où la nourriture était partout, » raconte Ariel.
Très jeune, il commence à s’intéresser à la cuisine et débute ses expérimentations. Il se rappelle très bien ses premiers gnocchis – à l’âge de 10 ans alors qu’il portait fièrement la moustache molle (photo à l’appui), des trois jours passés à préparer un pannettone et de la première fois où son père l’a laissé allumer le grill pour le asado. Il nous parle aussi de ses séjours chez ses grands-parents à Buenos Aires où il découvre le monde de la gastronomie en visitant les restaurants de la capitale.
Lorsque sa famille déménage à Winnipeg, Ariel – âgé de 13 ans – se déniche un emploi dans un service de traiteur où il est chargé de la plonge et de la mise en place. Malgré ces tâches limitées, cette première expérience confirme son amour pour la cuisine : « C’est tellement gratifiant de commencer avec des ingrédients crus et de les transformer avec ses mains en quelque chose de délicieux. » Ariel débute quelques années plus tard sa formation en arts culinaires au Red River College de Winnipeg.
À sa sortie de l’école en 2005, Ariel poursuit son apprentissage dans plusieurs adresses winnipegoises. « J’ai touché un peu à tout. J’ai commencé dans un service traiteur, j’ai travaillé dans des petits restaurants de famille, des hôtels et puis des plus grands restaurants. J’ai saisi toutes les expériences qui m’étaient offertes. »
En 2011, Ariel visite Montréal et tombe sous son charme. « C’était la première fois que je venais à Montréal à l’âge adulte et je suis tombé en amour avec la ville. C’est difficile à décrire, ce n’est pas vraiment l’Amérique du Nord et ce n’est pas vraiment l’Europe non plus. C’est vraiment une énergie unique ». Comme de nombreux gourmands de passage dans la métropole, l’itinéraire de Ariel s’arrête au 2491 rue Notre-Dame Ouest à l’incontournable Joe Beef : « J’y suis resté six heures. C’était un de ces repas ! Je me souviens très clairement encore aujourd’hui de certaines parties de ce souper. »
Quelques mois plus tard, Ariel part en Europe avec son frère pour découvrir les origines culinaires qui ont influencé la cuisine argentine, grandement marquée par l’immigration. Au retour, le duo fait escale à Montréal où Ariel, toujours enchanté par sa dernière visite, retourne au Joe Beef. Il rencontre alors Marc-Olivier Frappier, chef de la maison à l’époque (Mon Lapin aujourd’hui), et les deux s’entendent pour qu’Ariel revienne en ville pour un stage.
Au mois d’août 2012, Ariel fait ses bagages et déménage – définitivement – à Montréal. À son arrivée au Joe Beef, Ariel occupe le poste de garde-manger : « Jusqu’à ce jour, cette station dans ce restaurant en particulier a été l’expérience la plus demandante et la plus stimulante. J’étais responsable des petites assiettes, très complexes et élaborées au Joe Beef. Elles sont parfaites pour une table de deux, tu envoies plein de petits plats et tu suis avec un plat principal. Je préparais donc six plats pour chaque plat que le côté chaud réalisait. C’était très intense et ça demandait énormément d’énergie. Je pense que j’ai perdu environ 15 kilos pendant les premiers mois. C’était complètement fou. »
À la fin de l’été, Ariel est envoyé dans les cuisines du restaurant voisin, le Liverpool House. Au Liverpool, Ariel a la chance de pouvoir poursuivre son apprentissage en essayant tous les postes en cuisine. Après seulement un an, les proprios David McMillan et Frédéric Morin lui offrent le poste de chef de cuisine.
Très honoré, Ariel garde toutefois la même humilité qui l’a mené jusqu’ici. « Je cherchais encore à apprendre. J’ai eu l’opportunité pendant plusieurs années de travailler dans un restaurant qui roule très bien et avec une équipe – front of the house, back of the house et propriétaires – qui est tellement expérimentée. Travailler avec des gens comme ça, c’est l’équivalent d’obtenir son baccalauréat en restauration. »
Comme chef de cuisine dans un établissement du groupe Joe Beef, Ariel est quotidiennement confronté à un environnement très intense où les enjeux sont très élevés et où chaque détail est d’une importance capitale. Malgré la pression et l’obligation de performer, Ariel se délecte. Le jeune chef est conscient de la réputation de l’adresse où il travaille et est constamment motivé par ses collègues qui cherchent à parfaire leur art et à se dépasser. En 2017, Ariel est en cuisine alors que Justin Trudeau et Barack Obama, en visite à Montréal, soupent en tête-à-tête au Liverpool House.
Ariel reste près de six ans – de 2013 à 2019 – à la tête des cuisines Liverpool House et n’a que des louanges pour son temps passé à l’intérieur du groupe Joe Beef. « C’est vraiment cet environnement qui a formé la personne que je suis aujourd’hui ». Au Liverpool House, il fait la rencontre de deux très bons amis, James Simpkins, qui lui transmet sa passion pour le vin, et Chris Morgan, avec qui il passe de longs moments à parler de service. Ariel est aussi très reconnaissant envers ses deux principaux mentors : « Je dois tellement à Dave [McMillan] et à Fred [Morin] de m’avoir fait confiance et de m’avoir permis d’occuper une telle position. Ils m’ont guidé et montré comment les choses devaient être faites à leurs yeux. J’ai grandi, non seulement en tant que chef, mais aussi comme gérant. J’ai appris comment parler aux gens, comment devenir un papa pour son équipe. »
En 2017, Ariel convainc son frère Pablo, qui travaillait alors à Vancouver, de venir le rejoindre à Montréal. À son arrivée, Pablo passe quelque temps au Bar Loïc avant de rejoindre son frère au Liverpool. Le rêve d’avoir leur propre restaurant devient de plus en plus tangible. « Depuis que je me suis inscrit à l’école de cuisine, l’objectif a toujours été d’avoir mon propre resto », raconte Ariel.
En mai 2019, les frères Schor prennent possession d’un petit local au coin de la rue Éthel et de la rue Hickson dans Verdun. Deux mois plus tard, le Beba ouvre ses portes. Lors de l’ouverture, Ariel est en cuisine et propose un menu généreux, inspiré par la cuisine de son enfance et par son immersion montréalaise dans la gastronomie de la famille Joe Beef. Pour sa part, Pablo agit comme chaleureux hôte et gère la section liquide de la carte.
Depuis, Ariel n’est plus seulement papa dans sa cuisine. Son nouveau rôle de père l’a poussé à prendre ses distances de la cuisine. « Je conceptualise le menu avec mon équipe, ils cuisinent et après on goûte ensemble. Je suis toujours impliqué en cuisine, mais dès que les portes du restaurant ouvrent, je rejoins mon frère comme hôte et je pense qu’on fait un bon travail parce que j’adore parler [rires]. »
Comme le futur n’a jamais été aussi incertain, Ariel ne peut qu’avoir hâte de voir le Beba rouvrir et de pouvoir continuer à faire sourire les gens. « Nous sommes très attachés à ce petit endroit, nous l’aimons tellement et nous voulons que les gens viennent et l’aiment autant que nous. Nous voulons qu’ils se sentent à l’aise et qu’ils s’amusent. Il y a des jours où le restaurant est plein, où l’ambiance et la musique sont bonnes ; où tout s’emboîte. Et puis on prend du recul et on se dit “Holy f…, we did this” et ça, c’est le meilleur sentiment. »
Écrit par Samuel Gauvreau Des Aulniers
Photographié par Alison Slattery