Rafa Covarrubias a toujours cuisiné entouré des siens, mais c’est loin de chez lui qu’il a trouvé sa voix.
Né dans une petite ville près de Mexico, dans une famille où tout le monde cuisine, il grandit au rythme des tablées généreuses, des fêtes où la bouffe est toujours le langage commun. À 16 ans, il entre pour la première fois dans une vraie cuisine professionnelle, dans un restaurant mexicain de son coin. Il y apprend les bases, la rigueur, la cadence. C’est là que ça clique : ce sera ça, sa vie.
Quitter le Mexique pour mieux se définir
À 17 ans, il comprend aussi que pour aller au bout de cette ambition, il devra sortir de sa zone de confort. Direction Calgary, où un cousin l’accueille. Il s’inscrit à l’école de cuisine, enchaîne les postes en brigade, apprend le métier au froid, loin des saveurs de son enfance, mais plus près de ce qu’il veut devenir. Ce détour pose les premières pierres d’un parcours qui va le propulser au premier plan de la gastronomie canadienne.
Hexagon : trouver sa voix
En 2017, l’opportunité Hexagon se présente. Un projet à Oakville, en banlieue de Toronto, présenté d’abord comme un restaurant d’inspiration française. Rafa n’a rien qui le retient à Calgary, et surtout, il cherche un terrain de jeu pour pousser plus loin. Il accepte. Très vite, Hexagon devient son laboratoire et, surtout, son premier « chez lui » en cuisine. Ce qui devait être une table française classique se transforme en tout autre chose : un lieu où les techniques françaises rencontrent ses racines mexicaines, le terroir ontarien, les influences de son équipe, et cette idée simple que la bonne cuisine raconte toujours une histoire plus grande qu’un plat.
Avec lui, Hexagon trouve son rythme. Le menu évolue sans cesse, la créativité est assumée, le cadre reste précis mais jamais figé. Les reconnaissances suivent : San Pellegrino Young Chef en 2019, une progression fulgurante dans les palmarès de Canada’s 100 Best, puis, moment charnière, l’étoile Michelin et le prix Young Chef Award à la cérémonie 2024-2025. Hexagon devient le premier restaurant étoilé de la région de Halton; Rafa, l’un des visages les plus en vue d’une nouvelle génération de chefs qui cuisinent sans complexe, entre plusieurs cultures.
Pour lui, pourtant, ce succès ne se résume ni aux listes ni aux étoiles. Ce qui le fait rester en cuisine soir après soir, c’est sa clientèle. Les invités qui se déplacent, les équipes qui se donnent, l’énergie qu’on investit et qui revient. « Plus on met d’effort, plus ça nous revient », répète-t-il en parlant de son métier comme d’un engagement collectif. Cette relation avec sa brigade est centrale : Rafa aime intégrer leurs histoires, leurs influences, leurs recettes de famille dans le récit de la maison.
Tourner la page Hexagon
Après huit années à faire grandir Hexagon, à y trouver sa voix et à la pousser toujours plus loin, une nouvelle page s’ouvre. Son dernier service à Oakville aura lieu le 20 décembre. Décision loin d’être anodine : Hexagon, dit-il, restera son premier « bébé », le restaurant qui l’a façonné comme chef et comme leader. Mais il sent le besoin de se mesurer à autre chose, à une échelle plus intime, avec une implication différente.
20 Victoria : un nouveau terrain de jeu
La suite se jouera au centre-ville de Toronto, chez 20 Victoria. Rafa y arrive avec l’envie de voir ce qu’il peut créer dans un espace plus petit, plus resserré, plus directement aligné sur sa vision. Un geste logique dans son parcours : après avoir prouvé qu’il pouvait porter une maison au sommet, il veut maintenant construire la sienne, assumer pleinement son identité, affiner encore ce dialogue entre son Mexique natal, le Canada qu’il habite et les gens qui s’assoient à sa table.
Un chapitre se ferme, un autre s’écrit
C’est un départ empreint de gratitude et un saut vers l’inconnu, mais un inconnu désiré. « Bittersweet », oui, mais lucide. Rafa Covarrubias quitte Hexagon avec le calme de quelqu’un qui sait ce qu’il doit à ce lieu — et avec l’appétit intact de celui qui n’a pas fini d’écrire l’une des histoires les plus passionnantes de la scène gastronomique canadienne.
Écrit par Fabie Lubin
