Depuis la mi-juin 2023, Gabriel Molleur Langevin dirige la cuisine du très chic Champlain, restaurant du tout aussi chic Château Frontenac. Le Château figurant en tête de liste des hôtels les plus photographiés au monde, il nous semblait nécessaire de dresser un portrait de la personne à qui la marque de luxe emblématique Fairmont récemment acquise par le groupe français AccorHotels avait confié ses poelons et casseroles à Québec. Un repas au Champlain nous a laissé supposer que ce chef avait quelque chose de très particulier.
En effet, tout ce qui était proposé par le chef et sa brigade était surprenant; des menus excitants avec des plats intrigants. Des assiettes savoureuses avec des accords d’éléments dynamiques et donnant des goûts délicieux et inhabituels. Une cuisine en apparence toute simple, mais qui pour qui s’y arrête suffisamment recherchée pour combler les gourmets venu manger au Champlain.
Nous avons donc, comme à notre habitude, posé quelques questions à Gabriel Molleur Langevin pour vous donner une idée du personnage. Les réponses aux questions ci-après ont été à peine retouchées, c’est vous dire si ce jeune homme est lui-même assez intrigant, ses qualités de rédacteur égalant celles de cuisinier qui font de lui un grand chef et qui donnent autant de plaisir à le lire qu’à savourer sa cuisine.
Tes premiers pas en cuisine resto?
La première fois que j’ai mis les pieds dans une cuisine, c’était du côté de la plonge, au Portofino à Québec. J’avais quinze ans quand j’ai commencé. Dès les premiers jours, j’ai adoré l’ambiance, le travail d’équipe entre les cuisiniers. J’avais profondément envie de faire un travail manuel, quelque chose d’utile au quotidien pour moi et pour les autres. Cuisiner, apprendre les propriétés des ingrédients les plus inusités, comprendre tout ce que la nature a à offrir en matière de saveurs… ça m’a ouvert tout un monde! J’ai compris que c’était une manière de rendre les gens heureux. Après quelque temps à la plonge, je suis passé au garde-manger, puis à la “ligne chaude”. Ensuite, je suis parti voyager pendant plusieurs années, mais l’envie de cuisiner m’est restée, et j’ai décidé que c’était le métier que je voulais faire car c’était aussi ma passion, tout simplement.
Comment qualifierais-tu ce retour à Québec?
Venir m’installer à Québec après plusieurs années sur la route puis à Montréal, c’est comme découvrir une nouvelle ville. Il y a énormément de choses qui changent en 10 ans, à coup de détails. De nouveaux cafés, de nouveaux restaurants, de nouveaux visages… J’ai le sentiment d’être à la fois dans un monde connu et dans un terrain de jeu à explorer.
Ton plat préféré pour toi-même?
Pour le midi, je suis un adepte du riz assaisonné – simple, efficace et délicieux. Je fais simplement du riz blanc, auquel j’ajoute, directement dans le bol, de la sauce soya, du shichimi (un mélange de six ou sept épices japonaises), du togorashi (autre mélange nippon), de l’oignon vert… Depuis que j’importe des produits du Japon avec ma compagnie ARTA, mon garde-manger regorge de sauces funky. Parfois, je fais des essais sans trop savoir dans quoi je m’embarque, ça c’est le genre de plat qui me parle!
Sinon, pour le soir, j’aime concocter des pâtes de toutes sortes – lasagnes, tortellinis, pâtes fraîches maison… Pour l’aspect convivial, je suis aussi un grand adepte des barbecues, où la maison est ouverte aux amis de 14 h à 3 h du matin ! Beau temps, mauvais temps… peu importe, je m’occupe du barbecue sous un parapluie s’il faut.
Ton plat préféré à préparer au resto pour la clientèle?
J’aime jouer avec tout ce qui est sensoriel et interactif – prendre un aliment à la main, défaire une brochette, découvrir une texture cachée sous une autre. On ne va pas au restaurant seulement pour se nourrir, mais pour toute l’expérience qui accompagne une assiette. Davantage qu’un plat, c’est plutôt des concepts, des grands principes qui me guident quand je pense à une recette.
Quelle importance occupe la proximité des produits dans tes menus?
C’est devenu un incontournable aujourd’hui. Ce n’est même plus une question de préférence personnelle, mais plutôt une nécessité collective. La proximité, le travail avec les produits locaux, ça fait partie intégrante de la réflexion gastronomique au Québec aujourd’hui.
Avec quelle cheffe ou quel chef aimerais-tu prendre un repas?
Après réflexion, j’opterais pour Thomas Keller. J’aime son attitude posée, sa vision de la cuisine, son approche de la gestion d’équipe et sa philosophie par rapport au pourquoi de la gastronomie. On ne cuisine pas pour briller soi-même ni pour être le meilleur, on cuisine pour que les autres se sentent importants, pour leur permettre de partager un moment inoubliable. Ce sont les notions d’humilité et de générosité en tant que chef que je trouve absolument fondamentales. J’ai l’impression que Thomas Keller est un fantastique pédagogue – j’ai dévoré tous ses livres ! Il fait preuve d’un sens de l’entrepreneuriat que je trouve aussi très inspirant.
Et quel serait le menu idéal?
Un menu qui joue sur plusieurs techniques, sur des saveurs et des textures singulières. Un menu rempli de surprises, pourtant simple en apparence. Un menu qui sort les convives de leur zone de confort, tout en les accompagnant dans cette découverte avec des produits qu’ils vont reconnaître et retrouver sous un nouveau jour. Le but n’est ni d’offrir un plat purement technique, ni d’en mettre plein la vue. Au-delà de la beauté du geste, de la complexité d’un processus culinaire, il y a l’amusement en bout de ligne. Un menu-spectacle, en quelque sorte!
Écrit par Jean-Philippe Tastet
Photographié par André-Olivier Lyra