Cinq questions à… Kim Thúy
Comme vous le savez sûrement déjà, Tastet s’intéresse à tout ce qui touche de près ou de loin à l’univers de la restauration. On adore découvrir les meilleures adresses où bien boire et bien manger. Tout le monde apprécie de bons produits servis dans un beau décor. Toutefois, ce qui nous procure le plus de plaisir dans la poursuite de notre mission, c’est d’aller à la rencontre des gens qui rendent possibles toutes ces expériences. Qu’il s’agisse de restaurateurs, de chef.fes, de personnalités connues ou de héros et héroïnes qui agissent dans l’ombre, on est toujours ravis d’en apprendre davantage sur les gens qui ont l’industrie de la restauration à cœur. Nos belles rencontres suscitent chez nous un enthousiasme que l’on a envie de partager avec nos lectrices et lecteurs. On vous invite donc à découvrir une personnalité coup de cœur de Tastet avec ces quelques questions-réponses ludiques.
Cette semaine, on a la chance de poser nos questions à Kim Thúy.
Avec la douceur et la classe qu’on lui connaît, Kim Thúy est très impliquée sur la scène culturelle québécoise. Son parcours fascinant et atypique a sans nul doute contribué à façonner sa personnalité si attachante. On la connaît notamment pour ses œuvres littéraires saluées à travers le monde et qui lui ont valu le Prix littéraire du Gouverneur général en 2010. Outre sa vocation littéraire, Kim nourrit un grand intérêt pour les arts et la gastronomie. Elle anime l’émission La table de Kim sur ICI Artv où elle reçoit des invité.e.s le temps d’un repas et d’une discussion. Sa passion pour les arts de la table l’a également poussée à ouvrir son propre restaurant, le Ru de Nam, qui a eu pignon sur rue sur Notre-Dame Ouest pendant quelques années.
Voici nos quelques questions pour Kim, auxquelles elle a répondu avec la spontanéité qu’on lui connaît.
Qu’est-ce que tu aimes le plus cuisiner ?
Étrangement, c’est de l’italien ! Vraiment, je sais pas pourquoi. C’est ma famille. Mon fils a mangé ses premières pâtes avec sa mère donc il croit que c’est moi qui fais les meilleures pâtes. Je trouve que c’est très savoureux et facile en même temps. On réussit à rester dans la fraîcheur avec beaucoup de légumes. Et la saveur est là. J’aurais aimé savoir cuisiner indien mais je ne réussis pas vraiment.
Quel plat te ramène en enfance ?
Un plat que j’associe au Vietnam est le rouleau de printemps, parce qu’il y a beaucoup d’herbes différentes dedans (six ou sept herbes). Au resto, il n’y a souvent que la menthe et la coriandre, mais c’est parce qu’avant on n’avait pas accès aux herbes. Quand les Vietnamiens sont arrivés ici ils ne trouvaient pas les herbes qu’il y a là-bas. Les seules qu’on pouvait trouver, c’était la menthe et la coriandre. Avec le temps, on a oublié et on est resté dans cette formule un peu simple. Le classique c’est vraiment avec six ou sept herbes. Je n’ai jamais rencontré une autre cuisine qui utilise autant d’herbes. Basilic thaï, vietnamien, la coriandre dentelée ou pas dentelée, il me manque de mots en français pour te les nommer. Ma mère en cultive l’été, donc on en mange sans limite. Cette fraîcheur, ces arômes sont associés au Vietnam. En Thaïlande, on mange aussi les herbes, mais la cuisine est beaucoup plus épicée, alors que le Vietnam c’est un mélange. C’est chinois mais ça l’est pas, on utilise de la sauce soya plutôt que de la sauce poisson. Il y a une fraîcheur tropicale. Il y a aussi eu une influence française pendant 100 ans, donc ça a aussi ajouté à la cuisine vietnamienne.
Quel est ton restaurant coup-de-coeur ?
Dernièrement, j’ai découvert le Okeya Kyujiro. J’aime beaucoup le Japon et j’ai eu la chance d’essayer des choses assez sublimes quand je suis allée là-bas. C’est toujours un deuil au retour à Montréal, ça n’a rien à voir. Au japon, le chef fait un morceau à la fois, s’inspire selon les arrivages. Je me souviens d’un resto en particulier. Il n’y avait pas de prix, c’est selon ta participation en tant que client. Le prix sera meilleur si tu es une bonne cliente ! C’était un comptoir de huit places très très intime. J’ai gardé un souvenir de cet endroit et je n’avais pas encore trouvé une place qui offre quelque chose de semblable jusqu’à ce que je découvre le Bistro Otto et, finalement, le Okeya. Et on pourrait inclure le Jun I, qui est excellent aussi. C’est sûr que tu ne peux pas y aller tous les jours parce que ça coûte cher, mais tu es mieux de manger du mac and cheese pendant une semaine pour attendre un bon repas et y aller à fond avec un japonais de haut niveau.
Avec quel.le chef.fe aimerais-tu pouvoir cuisiner et savourer un bon repas ?
J’ai jamais eu ce rêve-là. Le plaisir de manger le plat de quelqu’un, c’est de pouvoir l’admirer. Et il ne faut presque pas savoir comment le plat est fait, parce qu’on perd une certaine magie. Même dans une cuisine ouverte, on voit les gens travailler mais on ne peut pas tout savoir. Je suis le genre de personne qui ne veut pas rencontrer ses héros. Je ne veux pas savoir qu’eux aussi ont besoin d’aller faire pipi, ou se lèvent les cheveux croches (rires). Tous les chefs sont intéressants d’une manière ou d’une autre. Ils ne bougent pas de la même façon, ont tous leur manière d’utiliser un légume pour en faire quelque chose d’excitant.
Une fois, j’étais en Estonie et on m’a sortie manger très tard le soir. La ville était vide, je me disais : « on va mal manger et ça va durer longtemps en plus » . On a insisté et à ma grande surprise, dès l’entrée c’était magnifique. J’ai demandé au serveur de dire au chef de me sortir tout ce qu’il avait envie de faire. Je voulais voir et goûter son travail. Il n’y avait personne au resto. Je ne comprenais pas comment il pouvait m’offrir une cuisine aussi fraîche et aussi belle sans roulement. Je ne voulais pas qu’il me dévoile son secret ! Il n’y avait pas deux fois le même ingrédient sur une dizaine plats qui sont arrivés sur la table. J’ai dit au serveur que le chef pouvait venir nous voir s’il voulait, mais je n’ai pas insisté et il n’est pas venu. C’est mon attitude envers la cuisine ! Préserver la magie du chef et l’émerveillement qui vient avec. J’aime découvrir et être derrière les gens qui essayent des choses. Déjà, quand j’ai pas à cuisiner je suis très contente !
Quel plat as-tu hâte de retrouver lorsque les restaurants vont rouvrir ?
Les couteaux du Montréal Plaza ! J’en fais aussi, je reconnais les ingrédients, je comprends exactement d’où viennent les influences, mais je ne réussis pas à recréer ce goût. Si tu vas dans le quartier chinois, dans certains restaurants, tu vas recevoir dix couteaux. Le goût est là, mais ce n’est pas la même chose qu’au Montréal Plaza, où il y en a deux dans l’assiette, mais qui en valent vraiment la peine.
Dans votre émission, vous vous attablez avec vos invités pour jaser en partageant un repas. Pourquoi est-ce que c’était important pour vous d’inclure la nourriture dans le concept ?
Malgré les 42 années que j’ai passées au Québec, je suis toujours pas si à l’aise que ça pour exprimer des émotions ou de l’affection. Ma façon de le faire, c’est à travers la bouffe. Tous les gens qui viennent chez nous sont obligés de manger. Avant la pandémie, je recevais beaucoup de journalistes chez nous. Quand j’oubliais de servir à manger, ma mère qui habite à côté venait vite glisser une assiette de bouffe sur la table. La nourriture vient chercher les cinq sens, si ce n’est six. Quand tous nos sens sont présents, on parle différemment. Autour d’une table, on réagit, ça va avoir un effet sur ton discours. Ne serait-ce que la vulnérabilité de savoir qu’on a peut-être un morceau de persil coincé entre les dents. On a moins de contrôle. Aussi, c’est un moment de partage. La coutume vietnamienne veut qu’on mette tout au milieu de la table, donc le partage est là tout de suite. Quand on partage, il y a déjà une manière d’ouvrir la conversation différemment. Quand tu manges, l’autre est déjà dans ton intimité. Ce que tu manges, ou ne manges pas, révèle beaucoup sur toi. Je pense par exemple à ma façon de tenir les baguettes : on sait que je suis née avec, car je ne les tiens pas correctement, je les tiens comme une enfant. Alors le père de mes enfants, qui est né ici au Québec, a appris à les tenir correctement, car il a appris beaucoup plus tard. Ça dit l’historique tout de suite.
En rafale
Fromage ou dessert ? « Pas capable de finir un repas sans dessert. »
Sucré ou salé ? « Le sucré ne peut pas exister sans le salé, il faut aimer les deux ! »
Pâtes ou pain ? « C’est comme me demander de choisir entre mes enfants ! IMPOSSIBLE ! Les deux ! Je te laisse choisir pour moi ! »
Viande ou poisson ? « Maintenant, beaucoup plus poisson. »
Fruits ou légumes ? « Oooh légumes ! »
Merci à Kim Thúy d’avoir répondu si spontanément à nos questions !
Écrit par Marc-Antoine Ranger
Photographié par Carl Lessard