L’indomptable Antonin Mousseau-Rivard
« Mes souvenirs d’enfance sont catalogués en fonction de ce que j’ai mangé. Pour te donner un exemple, je me souviens du menu du mariage de mon père, mais pas de l’événement en tant que tel ». — Entrevue avec Antonin Mousseau-Rivard.
Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités. C’est une devise s’appliquant à merveille à la carrière d’Antonin Mousseau-Rivard, chef propriétaire du célèbre restaurant le Mousso à Montréal. Depuis plusieurs années, le jeune chef est assis à la grande table des meilleurs chefs du pays. Il porte depuis, sur ses épaules, le poids de l’excellence, ainsi que la réputation de son établissement. Une grande imputabilité pour cet épicurien de nature n’ayant jamais mis les pieds dans une école de cuisine.
Gourmand de nature
« Tous les commerçants de la rue Monkland me connaissaient. Ma mère me donnait cinq piasses et j’allais acheter un mille-feuille à la Pâtisserie de Nancy et des saucissons à la porte d’à côté. À huit ans, je savais déjà cuisiner, je voulais être chef ».
La gourmandise d’Antonin ne vient pas de grand-chose, encore à ce jour, il est excité par la nourriture de cafétéria. Il plaide coupable à ce péché capital et préfèrerait probablement se retrouver en enfer que de se priver d’une bonne bouffe. Le chef du Mousso a toujours aimé manger, c’est pour lui une passion, sa raison de vivre.
La formation culinaire non orthodoxe d’Antonin a commencé au chalet de sa mère, devant la télévision. « J’écoutais toujours la télévision. Quand on était au chalet, sur le bord des lignes américaines, on pognait juste deux postes. Le dimanche, à l’heure de la messe à Radio-Canada, je passais au poste américain ». C’est là qu’il rencontre Jacques Pépin et Julia Child, ses premiers professeurs de cuisine. À partir de ce moment, le chef en devenir commence à se gaver d’émissions de cuisine, il est passionné, il absorbe et retient toute l’information qu’on lui offre.
«Fake it till you make it»
« Ma première job comme cuisinier, je l’ai eue en mentant », raconte-t-il en riant.
Antonin Mousseau-Rivard s’est rapidement rendu compte que l’école n’était pas pour lui. Quand sa mère s’est rendue à l’école pour signer le papier lui permettant d’abandonner les cours, elle a été claire, il devait entrer sur le marché du travail immédiatement. C’est ainsi qu’il commence à travailler comme plongeur dans les cuisines du Maestro SVP. Heureux malheur, le patron de l’établissement ne l’aimait pas beaucoup. Malgré les nombreuses requêtes d’Antonin pour travailler derrière les fourneaux, on le laisse à la plonge. Quelque mois plus tard, il quitte l’adresse du boulevard Saint-Laurent.
« On allait régulièrement manger, avec ma famille, aux Sarcelles à Saint-Lambert. C’était un beau restaurant français où on servait la nourriture dans de grands plateaux argentés. Pendant une de nos visites, mon petit cousin m’a demandé ce qu’il y avait dans les plats. Formé par les émissions de Child et Pépin, je lui ai étalé mes savoirs. La propriétaire du restaurant, Viviane Brousseau, m’a entendu au loin. Elle est venue me demander comment je connaissais tout ça. J’ai menti, je lui ai dit que j’étais cuisinier. Elle m’a engagé. J’avais 16 ans ».
C’est donc au restaurant Les Sarcelles qu’Antonin apprend à maîtriser les techniques françaises. Il travaille, en même temps, dans plusieurs petits établissements et y comprend plusieurs facettes de l’industrie qui seront indispensables à la suite de son cheminement. « J’ai commencé à faire mes expériences au restaurant de Viviane. Le dimanche matin, aux Sarcelles, on servait des gros brunchs. Il restait toujours plein d’ingrédients pour le menu du soir. Elle me laissait freestyle, me donnait libre cours à ma créativité. C’est là que j’ai commencé à sortir des normes, à faire des affaires pétées ».
L’artiste
« Instagram m’a permis de prendre de l’aise par rapport à ce que je faisais ».
De fil en aiguille, Antonin a commencé à faire parler de lui. Un soir où il organisait un traiteur privé pour la direction de la place des arts de Montréal, on lui a proposé le poste de chef cuisinier pour le restaurant du Musée d’art contemporain. « On est dans les années du canard confit, et moi j’arrive au MAC avec mes affaires fuckées. C’était le temps ! J’ai abusé des concepts, mais pour le bon. On a été jusqu’à reproduire des peintures en plat. Je mettais de la couleur partout, je m’amusais ». Il avoue que c’est à ce moment qu’il a commencé à penser ouvrir le Mousso. Son corps était dans la cuisine du restaurant du Musée, son esprit lui était déjà dans celle de son futur restaurant. Il prenait des risques et ça lui a rapporté.
« J’aime les vieux livres de cuisine. Dès que j’ouvrais un livre plus moderne, une angoisse s’emparait de moi. J’avais peur de copier, je voulais que mes créations soient uniques, de mon cru. J’en dois beaucoup à Instagram, c’est grâce à cette application que je me suis permis d’observer et d’admirer les créations de grands chefs de mon époque ». C’est d’ailleurs les réseaux sociaux qui lanceront la fulgurante carrière d’Antonin Mousseau-Rivard. En partageant ses œuvres de la cuisine du MAC, il sort de l’anonymat médiatique et atteint rapidement les vingtaines de milliers d’abonnés.
Le Mousso
« Partir sans base et développer une expertise, c’est compliqué. Mais quand on atteint le niveau, on sort du lot parce que rien de ce que l’on fait n’est standardisé ou préprogrammé ».
En 2015, Antonin ouvre le Mousso avec sa mère, Katerine Mousseau. « On a ouvert ça sur des chapeaux de roues. On n’était pas du monde de business. J’étais dépassé par ma popularité avant même que le restaurant ouvre. J’ai vite compris que ce n’était plus juste de cuisine, c’est une entreprise ». C’est ainsi qu’est né l’un des plus convoités restaurant de Montréal. Il reçoit, en 2019, le titre de sixième meilleur restaurant du Canada — dans le classement Canada’s 100 Best. Le menu fixe du Mousso change régulièrement afin de nous surprendre à chaque visite. Un repas au Mousso, c’est une expérience gastronomique hors du commun avec de la musique rap et des menus dégustation 13 services ; du jamais vu à Montréal.
Quelques années plus tard, le chef décidera d’ouvrir le Petit Mousso à la porte voisine. Malheureusement, la pandémie aura raison de cette nouvelle adresse qui fermera peu de temps après son ouverture.
La nouvelle formule ou le Mousso 2.0
« Il fallait bien qu’il y ait quelque chose de positif qui sorte de toute cette merde. On a pris le négatif et on l’a transformé. Ils voulaient qu’on se réinvente, et bien l’a fait ».
La covid a emmené le Mousso à s’assumer, plus que jamais, en tant que restaurant haut de gamme. Afin de survivre, le restaurant devait faire un changement majeur dans son approche. C’est ainsi que le Mousso, a changé de formule. « On a dû monter les prix. De toute façon quand tu viens chez nous, tu sais que ça va coûter cher. Tu sais aussi que ça vaut la peine. Ce n’est pas un trip que tu te paies toutes les semaines et notre clientèle le sait. Maintenant, le Mousso, c’est un vrai spectacle. Tout le monde arrive à la même heure et tout le monde mange en même temps. Je monte sur un genre de stage et j’explique chaque plat aux invités, ma sommelière fait de même avec l’accord mets-vins. Ça nous évite le capharnaüm causé par les masques. Le monde aime ça, c’est beau à voir ! Et nous on a retrouvé du fun ».
Antonin Mousseau Rivard est un spécimen à part entière. Un sympathique et charismatique personnage doté de la sensibilité des grands artistes. Ses plats, à l’image de petits chefs-d’œuvre, suscitent étonnement et émotions en plus d’être succulents. En plus de continuer à l’illustrer comme un pilier de la gastronomie du pays, le chef voit, au fil du temps, d’anciens membres de sa brigade remporter de grands prix et s’envoler de leurs propres ailes.
Nous pouvons affirmer que si cette bête indomptable qu’est Antonin Mousseau-Rivard n’a jamais été capable de se conformer à un plan académique, son restaurant est devenu, malgré lui, une sorte d’école d’où sortent de solides cuisiniers. Et c’est tant mieux.
On ne s’éloigne pas du but en sortant des sentiers battus.
Écrit par Gabriel Belzile
Photographié par Rodolphe Beaulieu — L'actualité