Jonathan Lapierre-Réhayem : 33 ans, directeur de la restauration commerciale et chef exécutif du Restaurant de l’ITHQ
Jonathan Lapierre-Réhayem a 33 ans et est directeur de la restauration commerciale et chef exécutif du Restaurant de l’ITHQ. Fervent amateur des produits du Québec depuis ses tout débuts dans le milieu de la restauration, il sait transmettre sa passion pour notre gastronomie aux centaines d’étudiants de l’ITHQ.
Jonathan commence sa carrière en tant que plongeur au Café Lézard sur Masson, à 16 ans. Parallèlement, il étudie en sciences pures. Il ne poursuivra cependant pas dans le domaine.
« Je pense que ma passion pour la cuisine vient de mon trouble d’attention. J’ai toujours aimé les laboratoires parce qu’il y a une réussite rapide. J’adore la recherche et le développement, mais le fait de pouvoir réaliser quelque chose rapidement en cuisine, d’allier des saveurs et tout d’un coup de découvrir un nouvel assemblage, pour moi c’est incomparable. L’endorphine qui se crée dans ton cerveau, le buzz que ça donne, le rush, l’adrénaline … c’est comme une drogue, et je suis tombé dedans. » (rires).
L’ITHQ et l’Asie
Jonathan laisse ses études en sciences pures et choisit une technique en gestion des services alimentaires et restauration à l’ITHQ. Il étudie et travaille en même temps au restaurant le Cinquième Péché. Pendant l’été, il part aux îles de la Madeleine à l’Auberge de la Petite Baie. Dans son parcours, il a également la chance de réaliser un des premiers stages à l’international de l’ITHQ alors qu’il quitte pour la Chine, à Shenyang. « C’était vers la fin des années 2006, un des premiers stages à l’étranger de l’école. Il y avait quelques problèmes avec le visa, quand la police venait faire un tour, je devais me cacher dans le congélateur. » (rires)
Jonathan finit son diplôme et part ensuite à Tokyo, au Japon, pour six mois. Il y travaille dans quatre restaurants et apprend beaucoup. Il aime particulièrement la nouvelle ouverture sur les textures et les goûts que cette expérience lui apporte. « Pour eux, le fromage bleu c’est dégoûtant. Par contre, la fermentation c’est excellent. À l’époque au Québec, le miso ou le kimchi, ce n’était pas très accessible. J’avais 18 ans et je n’avais jamais goûté ça. » Au Japon, Jonathan travaille de huit heures du matin à minuit, six jours sur sept. Il y apprend la rigueur, le travail assidu et la politesse.
France
À 22 ans, Jonathan revient ensuite à Montréal et suit une formation supérieure en cuisine à l’ITHQ. Il travaille à nouveau parallèlement à ses études. Il retourne travailler au Cinquième Péché et passe au restaurant La Porte. Jonathan a encore une fois la chance d’aller faire un stage à l’international. Il part travailler pour Édouard Loubet, un deux étoiles Michelin. « Là-bas, c’était très intense. On était 15, et on a fini cinq. Le niveau de stress était tellement élevé que les gens partaient en pleine nuit. C’était militaire. Si tu n’avais pas remis la poivrière exactement où tu l’avais trouvée, tu te prenais une taloche. J’étais stagiaire et j’ai fini chef de partie poissons. »
Là, Jonathan se familiarise avec la cuisine provençale et en apprend beaucoup sur la cueillette sauvage. « J’ai aussi appris à fermer ma yeule et surtout, à supporter le stress. »
Quelques adresses de chez nous
Jonathan revient à Montréal et travaille au Brönté avec Joe Mercuri; il y reste huit mois. Impressionné par la qualité des produits et l’exécution des recettes, Jonathan trouve la cuisine de l’établissement très avant-gardiste et la recherche et le développement extraordinaires. « Par contre, il n’y avait pas beaucoup de clients, c’était très long et un peu plate! (rires)
Jonathan est ami avec Hakim Rahal (Provisions 1268), le chef de l’époque du restaurant Chez Victoire. Il part donc l’aider, en tant que sous-chef. Il y reste aussi huit mois.
Il part ensuite travailler à la Montée de Lait, mais le projet dure aussi huit mois, avant de fermer.
Le Laloux
C’est en 2011 que Jonathan obtient son premier poste de chef, à l’âge de 25 ans. « Mon grand intérêt pour la culture gastronomique québécoise a commencé à ce moment. » Jonathan découvre une foule de produits d’ici et devient très stimulé à en découvrir plus sur la nourriture québécoise. Il commande des bœufs entiers et fait sa propre école au restaurant. « À l’époque, personne de l’équipe n’avait appris à débiter un bœuf entier. On avait une carte des différentes parties du bœuf et on essayait de les trouver. Au début ça a donné beaucoup de steak haché. (rires) Et puis, de moins en moins. »
Jonathan adore le côté découvertes et l’adrénaline de l’amalgame des saveurs. Il aime aussi beaucoup son équipe. « La beauté de cette adresse était dans l’ensemble : les clients, la salle, la sommellerie, la cuisine… Toute l’équipe goûtait ensemble le menu, réfléchissait ensemble à l’amélioration de chaque partie et travaillait ensemble pour offrir quelque chose de bien. C’était une équipe formidable. »
Ce qu’il préfère? « Avoir une vision globale de toute l’équipe. Ne pas juste avoir ton propre truc. Tout est fait pour que le client aime son expérience de A à Z. » Encore une fois, Jonathan adore la recherche et le développement. « Concevoir des recettes, les écrire, les standardiser ; j’ai adoré! » Il apprend à faire des charcuteries, des pickles, des fromages. Et il apprend aussi principalement à travailler les produits du Québec. Le restaurant connaît un succès fou : il faisait d’ailleurs partie de nos restaurants incontournables de Montréal.
L’histoire de Jonathan au Laloux se finit cependant assez mal. Un nouveau propriétaire se joint à l’équipe et pour des raisons de coûts ou autres, renvoie deux personnes très importantes en service — le sommelier et le maître d’hôtel. Le jour du renvoi, ces deux personnes ne se pointent pas et l’ensemble des gens de service démissionnent. Le restaurant doit engager de nouveaux serveurs à la dernière minute. « Cette soirée a été une catastrophe. Les habitués partaient en pleurant. Le lendemain, j’ai donné ma démission, et toute l’équipe en cuisine m’a suivi. »
Nouveau départ
À la suite de cette expérience peu agréable, Jonathan connaît un moment d’errance. Pendant l’été, il travaille chez des amis; un peu au Hvor, un peu au Candide, un peu au Hoogan et Beaufort.
« En 2016, peu après tout ça, mon fils est tombé très malade. J’errais du travail à l’hôpital sans arrêt. La gestion de mon stress a été très difficile. J’ai eu envie de quelque chose de plus stable et de plus sécuritaire. Avoir une meilleure qualité de vie et profiter de ma famille. » Jonathan reçoit alors une offre de l’ITHQ pour développer des formations pour St-Hubert et la SAQ.
Après quelque temps, Paul Caccia, directeur de la Direction principale des communications et du développement commercial de l’ITHQ, propose à Jonathan le mandat de « restructurer la machine ». Jonathan est embauché pour recruter les bonnes personnes et repenser le fonctionnement de la restauration à l’école.
Les choses vont encore mieux que prévu et il décide finalement de rester. En janvier 2017, il obtient le titre de directeur de la restauration commerciale et chef exécutif du Restaurant de l’ITHQ. Jonathan devient le premier chef québécois de l’ITHQ. Il est jeune, diplômé de l’établissement, moderne et défend ardemment les produits du Québec. « J’avais une expertise très précise et un réseau de très bons fournisseurs. J’étais au bon endroit au bon moment pour cet emploi. »
Dès son arrivée, un accent important est mis sur les produits du Québec.
En effet, Jonathan remplace tous les produits qui ne sont pas du Québec, par des produits locaux. Il incite les étudiants de l’ITHQ à en apprendre sur la cuisine de ces produits. « Il y a 20 ans, Normand Laprise, chef et copropriétaire du Toqué!, a fait un travail extraordinaire. Là, j’ai la chance de former la relève à la source! C’est un des plus beaux défis que de les former et les conscientiser à notre identité québécoise. »
Pour une relève qui connaît sa gastronomie québécoise
Jonathan organise les menus avec plusieurs profs qui viennent en rotation au restaurant. Ils discutent des recettes et des menus. « J’aime le partage des idées, le bouillonnement, la conceptualisation des recettes. Plus on est de chefs, plus on est de cerveaux! »
Ensemble, ils remplacent la vanille par le mélilot, l’huile d’olive par l’huile de tournesol, il favorise l’utilisation de la cameline, des petits fruits, de l’argousier, de la camerise, des canneberges, du vinaigre de cidre, du sumac, des algues, des champignons sauvages, etc. « L’évolution de la cuisine, l’influence des décisions, le partage des valeurs, le rayonnement des valeurs de la restauration, l’avancement de ce projet, c’est ce que je préfère! C’est important de comprendre ce qui se fait à Montréal et aux alentours; ce qui est réel et qui a une belle culture. » Même la carte des vins propose aujourd’hui des vins du Québec avec des vins du domaine des Pervenches, de Négondos ou du Nival.
Chaque année, près d’une centaine d’étudiants passent par le restaurant, en service ou en cuisine. « Les jeunes baignent dans cette cuisine-là. C’est la dernière session de cours avant le marché du travail, alors c’est selon moi un beau modèle. J’aime influencer la jeunesse et leur en apprendre sur l’identité culinaire québécoise. »
Écrit par Élise Tastet
Photographié par ITHQ