Steve Beauséjour : l’homme à la joie de vivre contagieuse
Lorsque l’on pense à un homme avec le cœur sur la main toujours prêt à aider sa communauté, à la joie de vivre contagieuse et passionné comme presque nul autre dans son domaine, une seule personne nous vient à l’esprit : Steve Beauséjour. L’homme qui a été une figure emblématique de la compagnie d’importation privée RéZin pendant près de 10 ans nous raconte son parcours de vie.
Une initiation précoce au vin
L’épopée de Steve Beauséjour commence dès son tout jeune âge. « Ma mère est phytothérapeute. À la maison, nous nous sommes toujours guéris par les plantes, les teintures mères de racines, les gouttes homéopathiques, et les huiles essentielles. Toutes ces concoctions ont un goût. C’est le goût du vivant qui est extrait. Cela a toujours fait partie de moi, dans mon ADN, d’essayer de comprendre comment l’humain décrypte les goût des aliments. Malgré le fait que j’étais difficile côté nourriture étant jeune, j’ai toujours été enthousiaste à l’idée de regoûter et ressentir les aliments que j’avais sous la main ».
Dès l’adolescence, Steve s’immisce petit à petit dans le monde du vin. « Je n’ai jamais été un grand fan de bière. Bien sûr, comme tout adolescent, j’ai vécu quelques soirées arrosées en buvant de la bière. Mais, par-dessus tout, ce que j’aimais c’était le vin. Je devais avoir 14-15 ans et j’en buvais déjà. Je lisais énormément de façon autodidacte sur le vin, surtout sur les arômes d’impacts, tout en dégustant les bouteilles que je m’étais procuré. Certains vins me plaisaient plus que d’autres. J’avais envie d’approfondir, de comprendre, de pousser toujours plus loin ma réflexion sur ce que je sentais, ce que je goûtais ».
Son grand-père fut également une grande source d’inspiration pour lui, lui-même faisant du vin de manière artisanale qu’il avait appris d’un homme italien. « Il égrappait ses raisins, ils les faisaient macérer dans des touries, faisait fermenter le moût en-dessous du radiateur dans le garage, puis embouteillait le produit final dans des bouteilles d’un litre sans SO2. Je trouvais que le vin avait un goût différent de ce que je buvais, mais je le trouvais franchement bon ».
A l’aube de sa vingtaine, Steve Beauséjour se trouve un travail qui lui permet de bien gagner sa vie. Curieux et gourmand de nature, il dépense ses acquis dans la gastronomie et dans le vin. « J’allais manger au Pied de Cochon, au Toqué!, et je dégustais les premiers vins nature importés au Québec : Georges Descombes, Marcel Lapierre, Claude Courtois, Gramenon, Marc Pesnot. C’est à ce moment que j’ai eu un déclic. Mon bagage gustatif et olfactif que j’ai acquis de ma mère me permettait de reconnaitre certains goûts et arômes dans le vin nature. Je me suis rendu compte que les vins que je buvais à la maison n’avaient rien à voir avec ceux que je dégustais au restaurant, que les vins nature étaient au-delà d’un alcool, qu’ils étaient une macération d’ingrédients vivants qui bouillonnaient de vie. Sans être techniquement parfaits, les vins allaient dans une autre trajectoire que je n’avais jamais explorée ».
La curiosité d’apprendre
Suite à cette révélation, Steve décide de suivre sa passion et s’inscrit en 2005 à l’ASP en sommellerie à l’ITHQ pour acquérir davantage de connaissances et se familiariser avec les termes techniques. « Malgré mon bagage gustatif et olfactif, je lisais beaucoup de livres sur le vin et je n’arrivais pas à comprendre les termes utilisés pour le décrire. Ces termes semblaient, à mon avis, quelconques et réservés à une certaine élite. J’essayais juste de comprendre ce que je goûtais. J’avais préalablement fait un an en gestion hôtelière, mais j’avais fini par abandonner le programme. Dans ces années-là, la sommellerie n’avait pas la côte comme aujourd’hui. Il manquait de candidats. Malgré tout, l’ASP avait quand même eu lieu. Je savais de prime abord que j’allais réussir parce que j’aimais trop cela ».
Végétarien à l’époque, Steve Beauséjour s’amuse à pousser plus loin la réflexion et à lancer des défis à ses collègues de classe lors de dégustation sur les accords mets-vins. « Bien entendu, un verre de Sauvignon Blanc irait bien avec une sole pochée au beurre blanc et un verre de Bordeaux irait bien avec une bavette de bœuf avec sauce aux champignons, mais que fait-on des végétariens ? Je poussais mes collègues à voir plus loin que l’ingrédient ; d’où vient-il ? Comment peut-on en tirer le meilleur ? »
La volonté de démocratiser le vin
Loin d’imaginer devenir sommelier un jour, Steve a entrepris ses études par pur plaisir et pour cette curiosité que l’on admire tous chez cet homme si passionnant. « Je me réveillais le matin et je voulais apprendre, apprendre à comprendre le pourquoi du comment. Toute ma vie, j’ai cherché à savoir pourquoi sur tout et rien. On nous apprend à l’école qu’il n’y a qu’une seule vérité, qu’un Riesling sent l’hydrocarbure par exemple. Mais est-ce que c’est l’échantillon de Riesling classique travaillé de la même manière par le même œnologue depuis 25 ans, ou goûtait-il différent il y a 150 ans ? Était-ce dû à un manque de maturité et à l’élevage que ce vin développe ces arômes d’hydrocarbures ? Je ne crois pas que l’on peut se permettre de parler d’une typicité d’un variétal. Pour moi, un variétal n’est pas typique. C’est le reflet d’un endroit qui fait sa typicité. L’endroit ramène sa typicité au fruit, et non pas le fruit dans son endroit ».
« La sommellerie moderne telle qu’on la connaît et qu’on apprend à l’école est née en même temps que les produits chimiques. Le vin a plus de 8 000 ans d’histoire et ce 70-80 ans semble la définir en entier. Je crois que cette période a sa place dans l’histoire, mais elle peut nous permettre de reconnecter avec les vraies valeurs des vins, le côté bouillonnant des vins d’époque. De nos jours, nous avons des notions de microbiologie, de chimie super pointue, on comprend les interactions enzymatiques et levuriennes, on est en mesure de savoir quels minéraux se retrouvent dans le sol. Toutes ces connaissances peuvent nous aider à mieux interagir avec le vivant, à le laisser s’exprimer à son plein potentiel. »
Si Steve a la soif d’apprendre toujours plus, il réalise très rapidement qu’il est nécessaire de démocratiser le vin, de mettre davantage l’emphase sur le ressenti et l’émotion plutôt que sur les techniques qu’on lui accorde.
« Nous sommes portés à déceler des arômes, mais je préfère déceler le profil du vin. L’aromatique d’un vin est propre à chaque individu. Je préfère m’en tenir à l’énergie, voir l’émotion qu’un vin peut nous apporter, sa puissance, son exubérance, de reconnecter avec comment mon corps réagit quand j’absorbe ce liquide. De plus en plus les serveurs/serveuses/sommeliers(ères) parlent du vin avec leur ressenti et non d’une technique. C’est ce qui m’a toujours attiré dans la sommellerie, et c’est pourquoi j’ai désappris la dimension technique du vin lorsque je suis sorti de l’école. Pour moi, un vin sans défaut, ce n’est pas une technique, c’est de la standardisation. Un vin techniquement parfait, c’est pour moi un des plus grands défauts, parce qu’il y a peu de qualité. Tous les vins se ressemblent et l’humain n’a plus sa place. »
« Longtemps, les clients, du moins ceux qui sont intéressés par le vin, ont été intimidés par la prestance d’un sommelier old-school, et/ou par des termes que personne ne comprend. Les clients ne se sentent peut-être pas à l’aise ou se dévalorisent par rapport à leurs connaissances sur le vin, mais au contraire, nous nous devons de les faire se sentir en confiance, qu’ils connaissent le vin au fond. Je crois qu’il est important de revenir à l’essence du vin, d’être en mesure de vulgariser son ressenti sans le rabaisser à un niveau simple, le rendre accessible à tous, que ce soit pour la clientèle très pointilleuse ou celle qui n’y connait pas grand-chose. Parce qu’après tout, le vin reste de l’échange et du partage ».
Le vin, proche des humains
Peu de temps après avoir fini ses études en sommellerie, Steve Beauséjour décroche sa première expérience de travail dans le milieu du vin à Montréal.
« J’étudiais en étant portier à l’hôtel Saint-Paul du Vieux-Montréal. Cela devait faire six mois que j’avais terminé mes études à l’ITHQ. Xavier Burini, ancien assistant sommelier du Restaurant Cube, quittait son poste pour aller ouvrir Les Trois Petits Bouchons rue Saint-Denis. Le poste d’assistant sommelier devenait donc vacant et j’ai proposé mes services. J’ai fait un essai et j’ai adoré mon expérience. Je n’arrivais pas à croire que ma première expérience de restauration était assistant sommelier dans un des meilleurs restaurants de Montréal. Je remercie encore à ce jour Richard Gaulin, chef sommelier de l’endroit, de m’avoir donné cette chance ».
Par la suite, Steve Beauséjour enchaîne les emplois en restauration. Il gère sa première carte des vins au Restaurant Vallier, puis va travailler au Restaurant Laloux, pour ensuite aller au Bouchonné Comptoir à Vin (actuel larry’s), pour terminer son parcours au restaurant Les Trois Petits Bouchons. C’est à ce moment-là qu’il rencontre Jean-Philippe Lefebvre de chez RéZin.
« J’ai commencé chez RéZin en même temps que je travaillais au Trois Petits Bouchons. Jean-Philippe venait régulièrement manger au restaurant. Il aimait bien l’approche que j’avais par rapport au vin. Il me disait je devrais travailler pour lui. J’ai finalement décidé de le rencontrer pour discuter d’un éventuel emploi et j’ai accepté un temps partiel chez RéZin, qui est devenu un temps plein par la suite ».
L’aventure RéZin
« Mon titre officiel chez RéZin était représentant des ventes, mais je me voyais plus comme un représentant d’humains qui fermentent du jus de raisin naturellement. Je suis un ambassadeur d’humains que j’aime. L’aspect ventes m’a toujours nui, puisque je n’étais pas en mesure de conclure. J’étais plus dans l’optique de mettre en lumière les humains que j’aime, malgré le fait que les vins que je faisais déguster pouvaient ne pas être à leur meilleur. Je ne suis pas un vendeur-né, mais quand j’y crois, mon message passe vraiment. J’exerce un métier humain parce que j’aime les gens. Je reviens souvent à l’exemple de Hervé Villemade et Jean-François Nicq, ce sont des êtres humains que j’affectionne personnellement. Ce sont des gens avec lesquels tu tisses des liens. Tu veux en parler à l’humanité à quel point tu es fier de faire partie de leurs vies. Cela a toujours été l’angle que j’ai privilégié dans mon travail chez RéZin ».
« RéZin m’a apporté plusieurs choses dans ma vie. L’aspect dont j’ai bénéficié le plus a été d’avoir une dimension que je n’avais pas, de pouvoir aller en profondeur de l’humain, comprendre la valeur humaine ajoutée dans le breuvage. En ayant voyagé et fait de belles rencontres avec des humains formidables, tu te détaches de toute la volatilité, la fragilité, le côté technique qu’un vin peut avoir. Tu te rends compte à quel point le vin est une chose, mais que l’être humain en est une autre ».
La pandémie, comme pour beaucoup d’entre nous, a marqué un tournant dans sa carrière. Si Steve Beauséjour ne travaille aujourd’hui plus pour RéZin, il demeure une figure emblématique dans le monde du vin à Montréal. « Le 14 mars 2020, les annonces du gouvernement ont fait en sorte que j’ai perdu mon emploi du jour au lendemain. Je vendais du vin presque exclusivement aux restaurants à Montréal, donc 95 % de mes clients ont dû fermer boutique. J’aurais pu demander la PCU comme plusieurs l’ont fait, mais j’ai décidé de me retrousser les manches. Lorsqu’il y a une situation improbable ou difficile, je tombe en mode solution. Je ne voulais pas que ma famille ou mes amis aillent faire l’épicerie. Je faisais déjà affaire avec plusieurs fermes, je récoltais leurs invendus pour les redistribuer, tout ça dans une optique d’entraide. Je voulais garder un lien avec mes clients et amis que je ne pouvais plus vraiment voir. C’est ce qui m’a amené à faire plusieurs marchés, que ce soit au Lundi au Soleil ou à la Brasserie Réservoir, cela a toujours été dans une optique d’aider les commerces à se sortir la tête de l’eau dans une situation que personne ne pouvait contrôler ».
Revenir à l’essentiel
Qu’est-ce que l’avenir réserve à Steve Beauséjour ? « J’ai touché à la représentation de vin pendant 10 ans, avant ça j’ai été en restauration, mais maintenant, j’ai envie de toucher à l’agriculture et à la fabrication du vin. Il y a une grosse partie de moi qui a le goût d’aider à paver la culture vinicole québécoise. Je reprends un hectare de vigne à sept kilomètres du Vignoble de la Bauge avec Véronique Lemieux de Vigne en Ville et Alex Boily. L’espace contient déjà des vignes de Frontenac Gris et Frontenac Noir et nous allons également transformer l’endroit en permaculture. Je vais continuer de donner un coup de main au Vignoble de la Bauge, comme je l’ai fait l’année dernière. Nous embouteillerons les cuvées 2021 en juin prochain. À part cela, j’ai un nouveau projet qui s’en vient, la CAV, la Coalition Avenir du Vin. Qu’est-ce que la CAV ? À suivre ! »
Écrit par Antoine Gariépy