La traversée de l’enfer de Massimo Piedimonte
Après deux ans d’attente, de refus, de revers et de travail acharné, le Cabaret l’enfer sera enfin prêt à accueillir ses premiers clients dans quelques jours. Le chef-propriétaire Massimo Piedimonte (ex-Mousso, Maison Boulud, Noma) s’est entretenu avec nous sur son parcours semé d’embûches des deux dernières années.
Ne vous attendez pas à une gueule béante surplombant la porte lorsque vous pénétrez au Cabaret l’enfer, rue St-Denis. Du célèbre cabaret de Montmartre, le restaurant ne retient que le nom. C’est plutôt une sobre plaque en acier arborant en fines lettres le nom du restaurant qui nous indique qu’on se trouve bien à la bonne adresse.
Lorsqu’on pousse la porte, Massimo Piedimonte est posé à une table couverte de papiers et de factures, près de la fenêtre. Pendant qu’il boucle quelques appels – il est en pleins préparatifs pour l’ouverture – le chef de cuisine Santiago Alonso nous propose de faire le tour du propriétaire.
Au milieu de l’espace, un grand comptoir en granit noir sépare la cuisine ouverte de la salle à manger. Les chaises et les tables sont recouvertes de bâches de plastique. Les murs de brique blanche sont encore nus, en attente des œuvres qui les orneront. On suit Santiago à travers la plonge pour descendre au sous-sol, où seront bientôt installées différentes stations de travail et peut-être un lounge, éventuellement.
À l’origine, Massimo voulait créer un restaurant avec deux ambiances distinctes: une buvette au rez-de-chaussée et, au sous-sol, une expérience gastronomique unique pour huit à dix personnes par service. Mais c’était sans compter tous les nombreux obstacles qui l’attendaient.
«Mes parents m’ont appelé Massimo. Ils auraient pu m’appeler Daniel. Massimo en Italien, ça veut dire maximum. C’est vraiment mon caractère dans la vie d’être soit à zéro, soit à 100%.»
—Massimo Piedimonte
Un chemin de croix
Dire que Massimo a traversé l’enfer relève sans doute un peu de l’hyperbole. Mais les deux dernières années ont été pour lui un véritable chemin de croix.
«Un pas en avant et trois pas en arrière, à chaque pas, du début à la fin», nous confie-t-il.
Malgré de nombreuses opportunités, Massimo a longtemps hésité avant de quitter le Mousso. Mais la pause forcée par la pandémie a remis les choses en perspective.
«J’étais rendu à un point où je ne pouvais pas être un bon employé. Je ne pouvais plus travailler pour quelqu’un, se souvient-il. Je voulais aussi travailler pour l’avenir de mes enfants, qui à ce moment-là était très incertain.»
Quand les restaurants ont finalement pu rouvrir à l’été 2020, Massimo avait déjà pris sa décision. «Je suis revenu la première semaine qu’on a rouvert. On a jasé moi et Antonin. Avant la fin de la semaine, j’étais déjà parti», raconte-t-il.
Entretemps, Massimo Piedimonte avait déniché un local vacant sur la rue St-Denis, dans le quartier où il a grandi.
«Quand je prenais mon vélo pour aller travailler au centre-ville, je passais devant ce local à tous les jours. Je me disais que ça serait un bon emplacement pour un restaurant», raconte-t-il.
Un jour, un ami lui envoie l’adresse d’un local à louer, en lui disant qu’il devrait y jeter un œil. Massimo reconnaît tout de suite le local dont il rêve. Il n’en revient toujours pas: «Je ne peux même pas décrire comment je suis en amour avec cet espace. En amour avec la rue, le quartier.»
Jamais deux sans trois
Si le 4094 St-Denis semblait prédestiné à accueillir son projet, il y avait du pain sur la planche. Tout était à faire. «J’aurais pu prendre la pizzéria en face. Il fallait peindre un mur et on pouvait ouvrir le lendemain, avoue-t-il. Mais je voulais vraiment pas ouvrir dans un local qui a souffert à cause de la pandémie. I didn’t want someone’s broken dreams painted on my walls.»
Première étape: trouver du financement. «Quand je suis arrivé ici pour voir le local, je ne savais pas comment j’allais mettre de l’essence dans ma voiture», se rappelle-t-il. Mais au lendemain de sa visite, il s’arme de courage et passe à la banque.
Contre toute attente, il réussit à négocier une entente, trouve un partenaire et signe le bail. Puis, la banque se retire. «Massimo, les restaurants sont en train de fermer. On ne va jamais investir dans un restaurant. Bonne chance», lui dit-on.
Mais Massimo n’est pas prêt à jeter l’éponge. En décembre, une autre banque lui accorde un prêt. Revirement de situation: un mois plus tard, le gouvernement Legault annonce un couvre-feu. On vous laisse deviner la suite…
Pour tenir le coup, Massimo accepte quelques «jobines»: des contrats de consultation en hôtellerie, un poste en cuisine chez Bottega. «Ça m’a retransporté où j’ai commencé il y a 17 ans. Faire des pasta, le fun, rien de plus que frais et honnête. Et j’ai vraiment trippé là-dessus», dit-il de son expérience.
Puis, cadeau du ciel, Charles-Antoine Crête lui présente son banquier. Le projet est de nouveau sur les rails.
L’enfer, c’est nous autres
Malgré les entrepreneurs généraux qui se succèdent (il y en aura eu sept au total), l’attente interminable pour les permis de transformation (8 mois au bas mot) et le permis d’alcool (il venait tout juste de le recevoir quand on l’a rencontré), Massimo tient bon. Après deux ans de dur labeur, dont six mois à temps plein, il peut enfin voir la lumière au bout du tunnel.
«Ça a pris un village», résume le chef, qui se compte chanceux de pouvoir retrouver plusieurs de ses camarades du Mousso: Santiago, Édouard Bélanger et Émile Archambault, couronné mixologue de l’année aux Lauriers 2019. «On est tous des extensions de chacun de l’autre», ajoute-t-il. Toute l’équipe est impatiente d’accueillir ses premiers clients.
«Hier, j’ai enfin pu déballer des chaudrons et des casseroles que j’attendais depuis très longtemps. La cuisine est enfin assez propre pour que je les étrenne», se réjouit-il.
Le menu du Cabaret l’enfer est la somme des expériences passées de Massimo: ses racines italiennes, sa formation en cuisine française classique, son stage au célèbre restaurant Noma, à Copenhague, et le Mousso, bien entendu.
«J’ai toujours été intéressé par le mouvement slow foods, mais c’est le Noma qui m’a ouvert les yeux à son plein potentiel, nous explique le chef. Tu peux tout faire de A à Z et être autosuffisant. Tu fais ta mozzarella, tu fais ta burrata après avec la mozzarella.»
Fromages, charcuteries, conserves, fermentations, vinaigres, vincottos e tutti quanti. Tout est fait maison, avec des ingrédients locaux cultivés par de petits producteurs ou cueillis dans la nature par Massimo lui-même, soucieux d’offrir des prix raisonnables à ses clients.
Nul besoin de vendre son âme au Diable pour manger au Cabaret l’enfer: «Je veux que la classe moyenne puisse s’offrir un repas chez nous, que nos voisins puissent venir», précise-t-il.
Enfin maître chez lui, Massimo a tout le loisir d’exprimer sa vision, sans compromis. «Je pourrais cuisiner exactement ce qui est sur ce menu pour le reste de ma vie. Je n’ai besoin de rien de plus ou de moins, tant que c’est honnête et savoureux», conclut-il.
On lui souhaite un succès d’enfer!
Cabaret l’enfer
4094 rue Saint Denis, Montréal, H2W 2M5
514-774-6608
Pré-ouverture le mercredi 1er juin 2022
Réservations à compter du jeudi 2 juin par téléphone ou en ligne
Écrit par Mikael Lebleu
Photographié par Mikael Lebleu