Alain Rochard, le bien-être collectif avant tout

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Alain Rochard, le bien-être collectif avant tout

Tastet a eu récemment l’honneur et le privilège de pouvoir s’entretenir avec un joueur-clé de la restauration, autant française que québécoise, nul autre que Alain Rochard. L’homme, qui vient tout juste de fêter ses 65 ans respire la forme et semble de très bonne humeur malgré les circonstances peu réjouissantes qui affectent l’industrie des restaurants et des bars, dont il est une figure de proue. Nous voulions en apprendre davantage sur sa vie et son parcours dans la restauration, mais également connaître son opinion sur les plus récentes décisions gouvernementales qui touchent de près ou de loin l’industrie de l’hospitalité.

Natif de Saumur dans la Loire, Alain Rochard débarque à Montréal le 30 Septembre 1990, alors âgé de 35 ans. « Je venais tout juste de sortir d’une relation amoureuse, la situation économique en France dans ces années-là n’était pas top, j’ai donc vendu mon restaurant Le Volume, et j’ai plié bagages pour Montréal ». Dès son arrivé au Québec, Alain tombe en amour avec le mode de vie montréalais. « Au départ, j’avais comme projet de voyager aux États-Unis et en Australie. J’avais même fait ma demande de résidence. Rien de tout ça ne s’est finalement passé. J’ai décidé de m’installer au Québec puisque j’y ai trouvé mon compte, les citoyens sont des gens formidables et le style de vie me convenait à merveille ».

Comptable-fiscaliste de formation, Alain ne s’y connaissait pas tant en vin. C’est avec la SAQ qu’il découvre les vins du monde entier. « Certains présument que parce que tu es Français, tu connais forcément le vin, mais pas du tout. Je me souviens de mon père qui achetait une barrique par année aux gens du coin ; on connaissait les vins italiens de l’appellation chianti qui étaient présentés dans les bouteilles de Fiasco, ou alors les vins rouges espagnols hyper gouleyant qui venaient dans des litres, mais c’était tout ». En 1998, il décide donc de faire des études à l’ITHQ, en jonglant avec son poste de propriétaire au restaurant Continental, un incontournable de la vie nocturne montréalaise de l’époque. « Apprendre des appellations par cœur comme les classements des vins de Bordeaux, ce n’est pas ce qui me faisait vibrer le plus. J’étais conscient que c’était nécessaire pour devenir un bon sommelier, mais ce que j’aimais par-dessus tout, c’était en apprendre sur les terroirs, les cépages, les vinifications, l’essence même de la fabrication du vin ». C’est pour cette raison qu’il décide de retourner en France pour compléter son cours de sommelier-conseil à la prestigieuse Université de Suze-la-Rousse.

En 2001, diplôme en main, il décide de se lancer à la recherche de terres viticoles. Au cours de ses multiples voyages dans le Sud de la France, il finit par trouver une terre qu’il l’intéresse. « Le propriétaire était très gentil, sa terre était bien préservée et le prix demandé était juste ; j’ai décidé d’acheter ». Le Vignoble du Loup Blanc voit donc le jour. La philosophie du vignoble se traduit par le respect et la protection de l’environnement, d’où sa certification en agriculture biologique et biodynamique.

« Laurent Farre, mon associé de longue date et meilleur ami, sa sœur Carine, son copain Nicolas et moi-même voulions faire des vins gourmands, mais axés sur la fraîcheur, comme on en trouve dans la vallée de la Loire ». Les vins du vignoble sont d’ailleurs disponibles à la SAQ depuis maintenant plus de 17 ans.

Après un incendie en 2007, avoir déménagé et fait plusieurs rénovations, Laurent et Alain décident de vendre le Continental en 2014. À la recherche de nouveaux projets, les deux associés trouvent un local sur le plateau Mont-Royal qui deviendra le Rouge Gorge. « Nous avons ouvert le Rouge Gorge en 2015. Notre philosophie pour ce nouveau projet est basée sur le partage et le plaisir ». Le Royal viendra, quelques années plus tard.

« Tout allait bien, les affaires roulaient, les clients étaient au rendez-vous et finalement, cinq ans plus tard, arrive cette fameuse pandémie ». Les restaurants et bars du Québec ont dû fermer une première fois le 15 mars dernier, puis ont été en mesure de rouvrir à partir du 22 juin, tout en respectant des mesures strictes de distanciation sociale, chaque employé devant porter masque et lunettes de protection. « Rien n’est jamais acquis avec cette pandémie. Nous avons rouvert nos portes dès que le gouvernement nous a donné le feu vert avec des mesures drastiques et ce, bien sûr, dans le respect d’autrui. Nous sommes choyés d’avoir une clientèle de quartier qui a rapidement répondu à l’appel cet été. Je ne fais que penser à mes confrères et consœurs restaurateurs du centre-ville et du Vieux-Montréal qui ne l’ont pas eu aussi facile, considérant que leur clientèle est essentiellement constituée de touristes et d’employés de bureau ».

Lors du premier confinement, plusieurs mesures gouvernementales ont été mises en place pour les restaurateurs, dont la vente de vin pour emporter à condition qu’il soit accompagné d’un repas. Ces mesures excluent malheureusement les bars, eux qui sont restreints à la vente de nourriture sans possibilité d’offrir du vin, et ce en raison de leur permis d’alcool. C’est pour cette raison qu’Alain s’est associé avec Pierre Thibault dans la NABQ, la nouvelle association des bars du Québec. « Pierre a créé cette association en réponse à la non-représentation des bars au sein de l’ARQ, l’association des restaurateurs du Québec. Nous désirions une association avec une identité plus personnelle aux bars ».

Cette nouvelle association a pour but de mettre en place un protocole de réouverture avec des conditions optimales pour les employés et la clientèle, d’avoir accès en tout temps et de manière définitive aux aides et financements gouvernementaux, que ce soit du provincial ou du fédéral, de pouvoir négocier avec une tierce partie de nouvelles ententes provisoires avec les propriétaires d’établissements pour permettre de reprendre les activités sans avoir le fardeau d’un loyer inopérable à pleine capacité, et d’avoir la possibilité de pouvoir agir comme caviste en vendant du vin pour consommation à domicile.

« Je suis très content d’apprendre que la loi 72 est entrée en vigueur pour les restaurants. Les bars ont malheureusement été laissés de côté. En agissant comme caviste, nous serions en mesure de pouvoir payer nos frais fixes, notre loyer et nos assurances par exemple. De cette manière, nous n’aurions probablement pas besoin des aides gouvernementales, ou très peu, et cette somme d’argent pourrait être réinvestie dans d’autres secteurs qui en ont réellement besoin, comme la santé et l’éducation. Depuis décembre dernier, la Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec permet, de manière temporaire, aux titulaires de permis de bar de révoquer ce permis et donc d’avoir accès aux mêmes avantages que les restaurants, soit la vente d’alcool accompagné d’un aliment. « Certains restaurateurs ont renoncé de manière définitive à leur permis d’alcool. Si cette initiative avait été en vigueur, jamais ils ne l’auraient fait. Cette demande de la NABQ avait été transmise au gouvernement provincial en avril 2020, soit neuf mois auparavant. « Je suis conscient que le gouvernement est une grosse machine, mais je trouve que par moment, il se fie sur des modalités et des lois dérisoires et dépassées pour en rester sur un statu quo. J’aimerais que le gouvernement réfléchisse et agisse de manière plus proactive. Nous sommes en pandémie mondiale, il me semble que des mesures exceptionnelles pour une circonstance exceptionnelle devraient être de mise ».

« On a beau se plaindre par moment, mais ceux qui devraient recevoir le plus d’aide, ce sont les gens qui sont au front, les préposé.e.s aux bénéficiaires, les infirmières, les infirmiers et les médecins. On doit se serrer les coudes et travailler ensemble pour qu’on passe à travers de cette foutue pandémie. On n’y arrivera jamais si tout le monde tire la couverture de son côté et ne pense qu’à soi ».

© Photo Montréal Gazette


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